Finale de la Coupe Davis : les enjeux sans langue de bois

 

C’est parti pour la finale de la coupe Davis entre la France et la Belgique, à Lille. Sans langue de bois mais avec un « ch’ti » peu de mauvaise foi (« une foué ! »), dressons ici les vrais enjeux de cette rencontre capitale. Objectif n°1, déjà : ah que Johnny passe le week-end…

 

Jour J. Des années que les brontosaures chargés d’organiser la coupe Davis compilent les demi-mesures sans s’attaquer pour de bon à la seule qui vaudrait vraiment le coup : arrêter de faire jouer ces foutus matches de simple les vendredis après-midi ! Parce que, rappelons-le, y’en a encore qui bossent dans ce pays. Donc en gros, si tu n’es ni un ch’ti au chômage (pléonasme), ni un vieux au bord de l’apoplexie qui aurait sa carte vermeil à l’Association des supporters de l’équipe de France, ni un VIP de BNP Paribas, ni un touriste à la fac, ni un mafieux de la Fédé, ni un lointain cousin de Jo-Wilfried Tsonga, ni un président de club, ni un élu corrompu des Hauts-de-France, ni une blonde platine que Richard Gasquet aurait pécho la veille dans un bar de Villeneuve d’Ascq, si tu n’es pas Yannick Noah non plus, bref si tu n’es pas au stade Pierre-Mauroy aujourd’hui, tu as dû déployer des trésors d’imagination pour trouver THE excuse qui te permettra de mater en douce les deux premiers simples de la finale. A ce stade, il faut encore en éliminer certains. Si tu es aiguilleur à la RATP (pauvre de toi…) ou vendeur chez Darty (à moins que tu bosses au rayon télé ?), c’est peine perdue, t’es niqué. Par contre, si tu travailles dans un bureau, là, tu peux éventuellement dégainer l’arme imparable : un dossier à boucler en urgence qui te contraindra à te murer dans ton espace privé toute l’après-midi, télé allumée. Pour peu que ton boss ne soit pas trop rat, tu as même une chance d’avoir Bibine Sports. Sinon, tu devras te coltiner Nelson Monfort et sa perruque tricolore toute l’après-midi. Mais tu ne vas pas non plus te plaindre, si ?

Allez, installe-toi confortablement et profite du spectacle. Là-dessus, on devrait être gâté. Coutumiers des faits, les Français nous ont encore concocté tous les ingrédients d’un bon psychodrame à venir. Tout était trop calme, trop lisse, trop parfait, trop ambiance « on travaille bien ensemble », « on est tous mobilisés pour le saladier » ou autre « l’important, c’est les trois points. » Tu t’attendais à la sélection bien convenue, bien pépère, dans la droite lignée de l’establishment « boring » à la française, quand tout à coup, paf ! Le Noah, qui toute la semaine n’avait pas laissé paraître davantage d’émotion qu’un Milos Raonic au 2è tour d’un ATP 250, est venu secouer le cocotier : Tsonga, Pouille (ça, ok), plus Herbert-Gasquet ! Alors celle-là, tu l’avais pas vue venir, pas plus que l’espèce d’abruti borné avec qui tu t’étais pris la tête sur twitter il y a deux jours, quand l’heure était encore à toutes les spéculations. Au moins, désormais, on est fixé. Fin de la discussion. Et en avant Guingamp. Mais Gasquet-Herbert, quoi ! Est-ce vraiment poussé par son esprit de contradiction exacerbé que Noah a choisi pile les deux mecs qui n’ont jamais joué ensemble, ne serait-ce qu’à FIFA 2017 ?

Le stade de la lose…

Certains de tes potes ont déjà cassé leur télé. Toi, t’as envie de faire confiance au grand gourou et son fameux instinct de la gagne qui l’a toujours guidé vers le succès jusque-là. Mais malgré tout, tu es sur tes gardes. Car le stade Pierre-Mauroy, pour l’air ambiant de la gagne, on repassera. C’est quand même le stade où les Bleus ont joué, en 2014 contre la Suisse, l’un plus grands chefs-d’œuvre de lositude de l’histoire du sport français. Un récital ! C’est aussi le stade du LOSC, équipe qui doit marquer moins de buts en une saison que Jo-Wilfried Tsonga ne frappe de revers gagnants chaque année à Roland-Garros (j’apprends toutefois à l’instant que Marcelo Bielsa et son affreux catenaccio viennent d’être débarqués du club lillois, mais je suis pas sûr que ça change grand-chose). C’est enfin un stade qui voit régulièrement venir brouter sur sa pelouse les chèvres du XV de France, lequel était d’ailleurs censé jouer ce même week-end contre le Japon, avant que nos dirigeants affables, décidément fort inspirés, ne réalisent que vu la situation de totale déroute vécue en ce moment par nos amis de l’Ovalie (les pauvres, ils ont plus de mal à retrouver leur rugby que Richard Gasquet n’en avait eu pour sniffer la blanche dans le soutif de Pamela sur le podium du Set à Miami), on avait probablement plus de chances de battre au tennis une équipe où ne figure qu’un joueur du top 50, que de contenir une armée de Nippons si mauvais. Bref, le stade Pierre-Mauroy, c’est un stade magnifique mais qui sent un peu la déprime, quand même…

Cela dit, nous aurions tort, nous, tennismen, de faire la leçon au rugby, con. Nous aussi, on continue de se voir en grande nation de notre sport sous prétexte qu’on a gagné plein de trucs à une époque où Jeanne Calment était encore adolescente (rigolez pas, elle était née en 1875, un an seulement après l’invention du tennis). J’ai lu des articles qui se demandent très sérieusement si la France peut gagner la prochaine Coupe du monde de rugby. Le simple fait de poser la question revient à faire croire à des milliers de lecteurs hébétés que oui, Gaël Monfils peut succéder à Yannick Noah comme prochain vainqueur français à Roland-Garros (et en Grand Chelem tout court), alors que le gars s’est préparé en disputant les championnats des Caraïbes de padel. C’est qu’il faut bien faire rêver, entretenir le mythe du French Flair, et surtout, surtout, vendre du papier.

Mais bon, c’est quand même un peu facile de taper sur les journaleux alors que le premier responsable de tout ça, c’est toi, cher supporter. Oui, toi. Ne fais pas l’innocent, je sais très bien que tu prépares cette finale avec l’esprit schizophrénique qui sied à tout amateur de sport français. Au fond de toi, tu es prêt à vibrer et t’as vraiment envie qu’ils la gagnent, cette coupe Davis, ne serait-ce que parce que t’en peux plus des anciens qui te rabâchent Gerland 91 comme si c’était l’Austerlitz fondateur du tennis français, en omettant de préciser que Pete Sampras et Andre Agassi étaient alors aussi concernés par ladite Bataille que moi quand ma douce me propose d’aller faire les soldes de janvier chez Ikea (oui, ok, j’exagère, mais bon…). Et d’un autre côté, une partie de toi n’est pas loin d’espérer une nouvelle décrépitude « made in France », prêt à bondir de ton canapé pour fustiger ce Kinder Maxi Boulard de Tsonga, cracher ton venin sur le forum de l’Equipe et te marrer devant les posts de la Fédération Française de la Lose. Fais gaffe à ta bière, elle pourrait salir ton canapé. Et tu t’étonnes ensuite que les joueurs français n’aient pas envie de se défoncer pour un public comme toi ?

lol des organisateurs du Challenger de Brest

Allez, le prends pas mal, moi aussi je suis comme ça et moi aussi, j’ai vraiment envie qu’on le soulève, ce saladier. Il faut être lucide : de nos jours, ma bonne dame, la coupe Davis, c’est à peu près le seul grand titre qu’on soit en mesure de remporter. Quand je dis « grand », je parle de la valeur symbolique, hein ! Parce qu’on est obligé de rappeler que le meilleur joueur battu par les Français pour arriver en finale reste le cocaïnomane britannique Dan Evans, 44è mondial. Lol général des organisateurs du Challenger de Brest, qui comptaient fin octobre pas moins de 7 joueurs du top 100, et ceux de Mouilleron-le-Captif, qui avaient Benoît Paire dans leur tableau final. Bon, mauvais exemple, Benoît a abandonné au 1er tour contre un Belge totalement inconnu alors qu’il était à un jeu de la défaite. Mais on ne peut pas en vouloir à mon idole qui était alors en pleine opération de « non sélection » pour la finale, parce qu’il avait pris des billets non modifiables pour ses vacances aux Maldives. Y’avait pas beaucoup de risque, mais on n’est jamais trop prudent… Bien joué, Ben’.

Tout ça pour dire que ça peut quand même leur faire drôle, à nos Bleus, de se retrouver cette fois avec un finaliste du Masters de l’autre côté du filet. Mais bon, que les Belges ne friment pas trop non plus avec leur Goffin. Nous, on n’a peut-être pas David, mais on est des Goliaths. Nous, on a 9 coupe Davis au compteur, cher Monsieur. Et les Belges, nada ! (non, pas Nadal, madame, suivez un peu s’il vous plaît…) ! Le poids de l’histoire, il est pour nous. De toute façon, on s’en fout que Goffin gagne ses deux simples. Nous, on doit battre deux fois Steve Darcis (76è mondial) et remporter le double pour faire basculer la rencontre. C’est quand même pas sorcier, si ?

En ce qui concerne le double, il paraîtrait que, sauf si Noah se plante dans la bande-son de sa séance de sophrologie d’avant match en balançant aux joueurs l’intégrale de son dernier concert au lieu de la compil’ de bruits de vague prévus à cet effet, c’est quasiment dans la poche. Mouais… Méfions-nous quand même. Ok, Bemelmans-De Loore, ça fleure davantage les pavés du Tour des Flandres que le Rebound Ace d’un stade de foot. Mais bon… Est-ce qu’on a vu que les mecs ont battu les Brésiliens Melo-Soares qui sont juste l’une des meilleures équipes de double du monde ? Ah pardon, j’aurais pas dû l’écrire, je vais porter la poisse… A côté de ça, l’équation qui se pose est simple : y’a-t-il plus de chances de voir un joueur français battre Goffin ou de voir Darcis battre un joueur français ? Un Français qui bat un top 10, ne soyons pas médisant, ça arrive quand même un peu plus souvent qu’une éclipse solaire. Mais Darcis, alias « Monsieur coupe Davis », a dégommé plus d’un poisson aussi dans sa carrière, surtout dans des cinquièmes matches dont il s’est fait la spécialité. A vrai dire, je n’aimerais pas être le cerveau de Lucas Pouille au moment d’aborder cet éventuel cinquième match décisif devant 27 000 personnes assoiffées de sang et abreuvées de houblon. Une bombe atomique placée au cœur d’un magma bouillonnant…

Johnny, retiens un peu la nuit…

Si vous avez suivi ma démonstration (chapeau), cette finale serait donc du 50-50 ? Allez expliquer ça aux bookmakers, qui cotent une victoire de la France à 1,20, contre 3,70 pour une victoire de la Belgique. Allez expliquer ça à Johan Van Herck, le capitaine belge au physique de tueur à gages (faites pas comme Noah pendant la demi-finale, essayez de pas l’énerver…), qui s’échine depuis dix jours à mettre la pression sur la France. Et un Belge qui refuse la pression, ça n’arrive pas tous les jours, n’est-ce pas ?

Ah si, il y aurait bien un moyen de réunir les Français et les Belges dans un élan de fraternité. Ce serait que Johnny Hallyday ne passe pas le week-end. Ouais, bon, OK, c’est un peu sordide. Mais le match nul n’existant pas en tennis, c’est la seule option plausible pour mettre tout le monde d’accord et pour se retrouver autour d’un pot géant de l’amitié dans un bar à bière du Vieux Lille. Mais bon. Que si Johnny vient à passer l’arme à gauche avant la fin des hostilités, que ce serait quand même bien qu’il attende le plus tard possible. Que faudrait pas laisser le temps à Noah de monter un concert-hommage dans le stade Pierre-Mauroy en lieu et place des deux simples du dimanche. Surtout que Noah aura largement le temps de se rattraper plus tard, puisque tout le monde dit qu’il retournera à son premier métier de chanteur après cette finale. Alors s’il te plaît, Johnny : retiens la nuit, encore un petit peu…

 

 

 

 

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