L’incroyable coup de l’abandon téléphoné !

Après une entrée en matière poussive dans le tournoi interne de mon club, j’ai poursuivi ma route au terme d’un scénario, dans un autre genre, tout aussi rocambolesque : mon adversaire m’a fait un « coup » inédit dans l’histoire du tennis.

 

Surface : Combi congélateur (pour la surface) /
micro-onde (pour la température ambiante).
Classement adversaire : 15/4 (ex-15/2, hein !)
Résultat : Victoire 3-2 ab. (au bout de l’effort, au fond de mes tripes…)
Sensations : McDonaldesque (tu te gaves ¼ d’heure puis tu restes sur ta faim)
Magnitude d’énervement sur l’échelle de Benoît Paire : 5/10
(un point d’énervement par jeu disputé, l’aurait pas fallu que ça dure plus…)

 

Salut à tous,

Pour ce qui restera ma première perf de la saison, j’aurais aimé vous raconter ici la chronique d’une victoire héroïque, que je serais allé chercher au bout de moi-même, au terme d’un effort d’une violence extrême. La réalité sera tout autre, quoi qu’assez savoureuse aussi, dans son genre. Mais pour être honnête, le récit qui va suivre n’aurait pas dû exister. Un match de cinq jeux, normalement, ne se raconte pas. Il se « nexte » au plus vite. C’est très sincèrement ce que je pensais faire. Et pis, comme dirait Renaud, « j’ai réfléchi, et j’me suis dit » : non, un coup comme ça, je ne peux pas le laisser passer. On est dans la tennismandemerdattitude pure et dure. Ça doit finir sur ce blog.

Quel coup ? On va y venir. Je remets d’abord le contexte. Après une entrée en matière aussi fluide et déliée qu’une conférence de presse de Richard Gasquet en anglais (« for choure » !!), j’abordais néanmoins le tour suivant bardé d’envie. Mais pour quelle raison étrange (France Gall), au tennis, la victoire la plus merdique du monde rapportera toujours plus, en termes de confiance, que 20 entraînements federesques à la suite ? Ça fait partie des mystères du tennis. En l’occurrence, j’abordais ce 2è tour dans les conditions idéales puisque à une victoire initiale avaient suivi deux entraînements lors desquels j’avais eu des sensations absolument excellentes. Ça y est, j’ai ma nouvelle raquette parfaitement en main ! Et le 15/4 qui m’était proposé pour ce 2è tour – prévu en night-session, après le bureau -, je le sentais plutôt bien ! Enfin, jusqu’à ce que…

L’heure du match approchait et j’en étais environ à la 35è bande-annonce du match dans ma tête quand tout à coup, mon téléphone sonna. Au bout du fil, mon adversaire supposé. A peine avais-je décroché qu’il me piqua à brûle-pourpoint d’une sentence qui me laissa sans voix :

  • « Allô, je t’appelle pour te prévenir que je vais devoir abandonner ce soir. J’ai eu mal au dos ces dernières semaines et même si ça va mieux, je ne veux pas prendre de risque. »

J’observe alors quelques secondes réflexion, durant lesquelles ma tête ressemble sans doute à peu près à ça :

« Allô, SOS tennismen en détresse, j’écoute ! »

Puis, retrouvant mes esprits, j’objecte :

  • « Euh, Ok, mais dans ce cas, n’est-ce pas mieux de déclarer directement forfait, plutôt que m’obliger à sortir une excuse bidon à mon patron pour pouvoir partir plus tôt du boulot, puis de me taper la transatlantique en solitaire de Paris (qui ressemble de plus en plus, depuis deux mois, à la citée engloutie de l’Atlantide), et ce au seul dessein de disputer une parodie de match de tennis ?

J’avoue, elle n’est pas sortie tout à fait comme ça, mais c’était l’idée.

  • « Ben oui mais si on fait ça, tu perds le bénéfice de ta perf. »
  • « C’est très sympa, mais si tu tiens vraiment à m’offrir une perf, tu déclares forfait et on refile un score bidon au juge-arbitre ? »
  • « Oui… Mais non, non, j’ai envie d’essayer ! »

Sur ce, il raccroche et me laisse à ma stupéfaction. Celle-là, on ne me l’avait encore jamais faite ! Je ne sais pas trop quoi penser. C’est vrai, quoi. Imagine, tu es tranquillement au bureau quand tout à coup, ta femme t’appelle : « Chéri, je suis Ok pour qu’on couche ensemble ce soir, mais je te préviens : on n’ira pas au bout… » C’est bizarre, non ? Le doute m’habite. Mon cerveau reptilien fulmine. Je sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit que son histoire d’abandon téléphoné, ça sent le traquenard. A plein nez.

En même temps, je ne suis pas plus étonné que ça d’une manœuvre de sa part. Le mec est l’un de ces « vieux » 15/4 auxquels j’ai pensé en premier en écrivant, dans mon autopsie des joueurs de 3ème série, qu’ils ont souvent « une grande capacité à manipuler psychologiquement leur adversaire ». Je m’attendais à moment donné à un coup de Trafalgar. Mais pas ça, quand même ! De fait, sa manœuvre est plutôt bien jouée. Car entre les deux heures qui séparent son coup de fil de l’heure du match, c’est la tempête sous mon crâne. Je gamberge comme un jeune puceau avant son premier soir. La même aisance gestuelle, la même assurance intérieure. Pendant ces deux heures, je ne cesse de me répéter, en boucle : « Oublie ce qu’il t’a dit, aborde ce match comme tu l’abordais encore ce matin, c’est-à-dire comme une guerre qui risque de durer 3 heures ! » Et bien évidemment, plus je pense à ça, moins j’arrive à penser à autre chose, et donc plus je me stresse tout seul. L’enfoiré a réussi à rentrer dans mon cerveau !

Survient alors l’ultra-classique (mais toujours efficace) : « j’ai pas joué depuis 4 mois »

On se retrouve à l’heure dite et, avant de débuter les hostilités, il ne me parle plus d’un éventuel abandon. Il me noie un peu le poisson, me parle d’une histoire de hernie discale, d’examens médicaux dont il est en attente du résultat, enfin bon, je comprends pas tout ni n’écoute pas tout, à vrai dire, tellement je suis en stress. Mais à aucun moment, il ne me répète textuellement : « je vais abandonner au bout de quelques jeux ». Il se borne à me dire qu’il a envie d’essayer, qu’il est content de jouer même s’il ne s’attend à rien tellement il est sous-entraîné. Le coup du « j’ai pas joué depuis 4 mois » pour se forger une excuse toute faite en cas de match moisi, je l’ai fait tellement de fois que je ne peux pas le lui reprocher. Mais bon, la ficelle est grosse…

Je suis dans un état d’incertitude absolu, et c’est extrêmement perturbant. Heureusement, la confiance accumulée ces derniers jours fait que je sens encore très bien la balle à l’échauffement. Mon coup droit, qui avait découché sans prévenir lors de mon dernier match, est revenu benoîtement, la queue entre les jambes, sans me donner plus d’explication. Mais bon, il est là. Le revers lifté passe bien, c’est fluide, même si je sais pertinemment que dès le premier point, je n’en lâcherai plus un (classique). Mon adversaire, lui, du haut de sa cinquantaine bien tassée, semble fringant comme un jeune homme. Il est où, le papy croulant annoncé ? Le mec semble avoir autant mal au dos que j’ai d’accointances avec les milieux judéo-bolcheviques parisiens.

Avant d’attaquer le match, je me répète pour la 1000ème fois : « Joue normal, joue normal… » Le point positif est que j’attaque le match au taquet, en termes d’intensité, de vigilance et d’application. Et il le faut car bien évidemment, le grabataire paralytique censé me faire face est dans une forme olympique. Avec son jeu très offensif, il me fait visiter les quatre coins de la patinoire surchauffée qui nous sert de salle (comme si je la connaissais pas assez) et très sincèrement, encore heureux que je sois dans un bon jour. En m’appliquant à renvoyer patiemment chacune de ses ogives, je le pousse à la faute et me détache 2-0.

Mais bien qu’il soit en ma faveur, ce début de match ne me rassure guère. Au contraire. Le gars joue mieux que je ne l’avais envisagé, même avant qu’il ne me fasse le coup du dos en compote. Il suffira que je baisse un tout petit peu de régime pour qu’il ne prenne les devants. En plus, vu qu’il n’a manifestement aucune douleur (celle-là aussi, j’en étais sûr…), ne va-t-il pas finalement jouer jusqu’au bout ? D’accord, c’est bien ce dont j’avais essayé de me persuader avant le match, mais inconsciemment, je pensais le contraire. Pour être sincère, je l’espérais, surtout…

Evidemment, mon bras va commencer
à trembloter…

Bref, je me fais mon petit cancer au cerveau tout seul, et malgré une balle de 3-0, je me laisse gagner pour de bon par le petit bras. Deux doubles fautes consécutives, signe incontestable de nervosité grandissante (même si, pour faire diversion, j’accuse grossièrement un éclairage trop lumineux) vont finalement lui permettre de marquer son premier jeu. Il lève les bras au ciel comme s’il venait de gagner Roland-Garros. Au changement de côté, je m’assois en mode « on en a encore pour des heures ». C’est limite si je sors pas déjà la banane et la boisson énergisante de mon sac. Lui reste debout, très décontract’, et me tape la discu. Puis, tout en rejoignant sa partie de terrain, il me tance à voix haute : « Allez, les deux derniers ! »

Euh… Les deux derniers quoi ? Les deux derniers jeux, c’est ça ? Il ne précise pas, restant sans doute volontairement dans sa démarche énigmatique et manipulatrice. Moi, j’ai beau redoubler d’effort pour rester concentré, ça devient mission impossible : je baisse la garde à l’insu de mon plein gré. Le stress ambiant fait que je commence à trembloter à chaque frappe. J’aligne alors un jeu moisi à quatre fautes directes (et pas des moindres !) : 2-2. Je le soupçonne d’être en passe d’atteindre son but, que je crois commencer à deviner : en fait, sans doute veut-il mener au score avant d’abandonner, histoire de s’en tirer avec les honneurs et la gloire, façon Jimmy Connors contre Chang à Roland en 1991 :

Je veux absolument écarter cette perspective et tente de me ressaisir au jeu suivant, qui s’avère long et acharné. Sur une balle de 3-2 en ma faveur, il me décoche un magistral retour de coup droit qui flirte avec l’extérieur de la ligne de couloir. Bonne ou faute, honnêtement, je n’en sais rien. Et lui non plus. Je lui propose donc de remettre deux balles, comme il est d’usage dans un match « normal ». Mais il me sort alors un autre truc probablement inédit, là encore, dans l’histoire du tennis en compétition : « Bon, on a qu’à dire qu’elle est bonne, comme ça, ça prolonge le suspense ! »

Là, j’avoue que je commence à trouver la plaisanterie un peu amère. Peut-être lui est-il au clair avec lui-même, mais moi, à ce moment précis, je ne sais toujours pas s’il compte réellement abandonner ou s’il cherche juste à me déstabiliser (ce serait réussi). Or, s’il a l’intention de continuer, il n’y a aucune raison que je lui fasse un tel cadeau ! D’un autre côté, si je commence à négocier comme un marchand de tapis, je vais passer pour un con. Je me résigne donc à lui donner le point en me promettant que si la suite tourne vinaigre, je ne manquerais pas de lui dire ses quatre vérités. Cette perspective a le don de me mettre en fureur et, paradoxalement, de me relâcher un peu. Je lâche deux grosses premières – dommage qu’il n’y ait pas le radar, car j’ai bien dû flirter avec les 145 km/h – qui me permettent finalement d’arracher ce jeu et de conserver fièrement la tête dans ce match (3-2).

Puis il est parti avec son mystère…

C’est alors que mon adversaire se dirige vers moi d’un pas lent et solennel, la main tendue en avant, un peu comme un de ces Roms qui font la manche dans le métro. Sauf que, contrairement à la réaction – je l’avoue – dédaigneuse que j’ai la plupart du temps avec les Roms (moi qui suis en revanche généralement très ouvert à toute forme de rhum), je me précipite pour lui rendre sa poignée de main. Je ne sais que trop ce qu’elle signifie. Le mec a tenu sa parole. Il a joué quelque temps avec mes nerfs, probablement pour me jauger, peut-être aussi pour se marrer, mais après cinq jeux pourtant intéressants et disputés, il a finalement décidé de se ranger à son idée initiale, tout en se disant extrêmement satisfait d’avoir constaté que son dos avait tenu le choc.

Dans ce cas, pourquoi alors avoir abandonné ? Qu’en aurait-il été s’il s’était détaché 5-0 après ces cinq premiers jeux ? Lui seul le sait. Lui qui s’est évaporé dans la nuit francilienne avec la promptitude d’un voleur en cavale, me laissant seul avec mes interrogations mais aussi, je dois l’avouer, avec une certaine délectation. Ben oui, quoi : j’ai ma perf’ ! Je la prends et je me casse. Mais je sais bien toutefois qu’en termes de plaisir pur et de capital confiance, cette victoire me rapportera peanuts. C’était peut-être son but, après tout. Pervers narcissique de 15/4, va !

8 thoughts on “L’incroyable coup de l’abandon téléphoné !

  1. Bien, le type.

    Peut-être même le genre de bon vieux pervers narcissique qui se fait les même plans au taf, sauf que là-bas, à son bureau, ça fait longtemps qu’ils ont flairé l’artiste, donc le mec doit se trouver de nouveaux théâtres pour ses opérations (de merde).

    Me fait penser à un adversaire qui avait eu la classe totale d’abandonner à 5-6 – balle de set, pour moi, donc, hein – dans le tie-break d’un premier et unique set de crevards épouvantablement rugueux.

    Pour pas que je puisse dire que j’avais gagné.

    C’était même pas pendant un tournoi, et des années plus tard, je m’en rappelle encore.

    Que le cul lui pelle, et que les bras lui raccourcissent.

    Allez.

    1. Abandon sur balle de set?? Mais le mec il me fait ça, je vais directement porter plainte au commissariat !

      1. Ca me rappelle moi aussi une rencontre par équipe mythique, on est mené 2/1 avant mon simple et je joue leur numéro 1 (15/1). A 5/2 pour moi au premier set, il me demande d’abandonner et d’y donner le simple et eux nous donnent le double en me disant je cite « on a 1h de route, il est midi et on aimerais avoir l’après midi tranquille, en plus comme vous ne nous battrait jamais en double, ca vous arrange »…. La suite est longue donc je ne vais pas m’étendre dessus mais ca aussi c’est du tennisman de merde qui se respecte 😉 des bisous

          1. Mon entraîneur et mon équipe m’ont dit d’accepter mais non j’ai pas abandonné, par contre a partir de là le mec est revenu à 6/5 pour lui et m’a dit « attention si je gagne réglo, le deal ne tient plus…. » je te dis pas dans quel état mental j’étais pendant ce match (Tchernobyl sous casquette 😉 ),je fini par le battre 7/6 6/1 et les mecs se barrent sans jouer le double……

  2. Toujours poilant ces articles, et ça me remémore pleins de trucs ( ex mon propre capitaine ( de merde) qui me demande si je peux simuler une blessure et abandonner ma partie mal engagée pour que notre numéro 1, qui est pressé, puisse jouer, j’ai refusé bien sûr, et perdu).
    Décidément ce blog est fabuleux !
    pour revenir à l’article est ce qu’il n’est pas simplement possible que le mec en face soit … honnête, sympa, non calculateur ?
    Quand un type me parle au changement de côté, je me dis que c’est de l’intox, forcément… parce que je suis persuadé qu’il a dans sa petite tête le même bouillonnement que dans la mienne. Et si il était simplement content d’être là, et que c’est moi qui lui prête toutes les bassesses que je serais susceptible d’envisager si j’étais à sa place !

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