Le match qui va vous prouver que le tennis est un sport 100% psychologique

Pour mon premier match de la saison, bien plus que la victoire, anecdotique, c’est surtout le déroulement sans queue ni tête que je retiendrai. Il m’a prouvé une fois de plus à quel point le tennis ne se joue pas sur des histoires de coup droit ou de revers, mais bel et bien dans la tronche, et uniquement dans la tronche…

 

 Surface : Greenset intérieur avec néons défectueux
Classement adversaire : 30/1 (oui, bon, ça va, c’était un 1er tour…)
Résultat : Victoire 6/4, 6/1
Sensations : Cancérigènes en coup droit, chimiothérapeutiques en revers
Magnitude d’énervement sur l’échelle de Benoît Paire : 2/10
(bizarre, comme si j’étais sous l’emprise de stupéfiants)

 

Salut à tous,

Nouvelle année (bonne année !) nouvelle saison, nouveau tennisman de merde ! Pour mon premier tournoi de 2018, et même mon premier tournoi depuis avril – soldé par cette raclée monumentale qui m’avait poussé à poser la raquette quelque temps (pour des raisons évidentes de sécurité) -, j’arbore une nouvelle raquette et des idées bien fraîches. Une fraîcheur que j’ai cultivée en arrivant sur le court, pour ce match de reprise, sans avoir touché la moindre raquette depuis plus d’un mois. Suicidaire ? Non, à la vérité, la manœuvre est plus ou moins calculée. Je sais pas si c’est pareil pour vous ou si je suis définitivement monté à l’envers, mais en fait, j’ai remarqué que quand je reprends après un certain temps sans jouer, mes sensations sont toujours bonnes, comme si le temps avait provoqué en quelque sorte un « reset » cérébral, effaçant les doutes, fluidifiant le geste et redonnant ses lettres de noblesse à la simple envie de jouer. Je vais employer une image pas très poétique mais c’est un peu comme si je balançais dans mon cerveau une grande bouffée d’Air Wick. Attention, je ne parle que de sensations, pas de performance pure. Mais pour moi, les sensations, c’est capital.

 

Et cette fois, sachant que de toute façon je n’aurais que très peu l’occasion de jouer avant le jour J, j’ai décidé de faire jouer à plein l’effet Air Wick. En sachant aussi, je le confesse, que mon adversaire n’a pas non plus la réputation d’être aussi impitoyable avec ses adversaires qu’un flacon de Canard WC avec les bactéries de vos toilettes (ouais, je sais, je suis en pleine forme). Je le connais un peu, j’ai même déjà tapé la balle avec lui, et j’ai pu me rendre compte que s’il joue au-dessus de son classement sur le plan technique, il évolue en revanche en-dessous sur le plan mental. Ce qui, quand on est classé 30/1, n’est pas réellement un compliment. Face à un mec plus fort, j’aurais sans doute revu ma stratégie. Là, j’arrive en touriste, mais relativement confiant. Enfin, pas tout à fait en touriste. J’ai quand même pris soin de soigner ma prépa physique en enchaînant quelques footings, aussi pour me délester des excès des repas de fête. A l’orée de cette nouvelle saison, je suis donc affûté comme un couteau (à fromage) ((à raclette)). En gros, à l’inverse de Jean-Claude Dusse et de son copain Bernard, j’ai décidé de tout miser sur mon physique :

Bon, j’avoue qu’au dernier moment, je me débine un peu. Mon match n’étant prévu que l’après-midi, je décide de me rendre le matin à ma séance ordinaire de cours collectif. Et là, ô joie et délectation…. Porté par une immense envie de jouer, née de ma longue abstinence mais aussi de l’effet « nouvelle raquette » que m’a offerte cet amour de Père Noël, je sens la ba-balle comme jamais ! Au point qu’il est temps d’oser poser la question : mais à quoi sert l’entraînement, en fait ? Passé un âge avancé à partir duquel on n’est plus capable d’assimiler grand-chose (je parle pas pour les jeunes en formation, c’est autre chose), n’est-ce pas une chimère illusoire que de penser que l’entraînement peut améliorer sa frappe de balle ? Etant donné que la qualité de frappe est avant tout une question de timing et de relâchement, et que le timing et le relâchement sont avant tout une question de cerveau, j’en doute de plus en plus, réellement. A la limite, l’entraînement nous aide à mieux jouer parce qu’il nous rassure. Mais là, on parle de mental, pas de technique. De la même manière, le fait d’enchaîner les matches permet incontestablement de progresser dans la gestion des émotions. Mais pour le jeu en lui-même ? Mais bon, tout ça, c’est une autre histoire. Je suis hors-sujet.

 

Un sommet de condescendance

 

Le sujet, c’est donc ce putain de match. Quand celui-ci arrive, j’ai légèrement perdu en capital confiance. Car au fil de mon entraînement matinal, après des débuts tout feu, tout flamme, mon niveau n’a cessé de se déliter au fur et à mesure de l’approche de l’échéance. Ne me dites pas que le cerveau n’y est pour rien là-dedans… En arrivant près du court, à l’heure dite, je ne peux toutefois m’empêcher d’esquisser un sourire en apercevant mon futur opposant qui m’attend, au loin, la clope au bec. Pas de doute, là, on nage là en plein dans la tennismandemerdattitude ! La bienséance, pour un tournoi interne, veut que l’ambiance soit plus conviviale que pour un tournoi « classique ». Autrement dit, il faut sympathiser avec l’ennemi. Moi, j’aime pas trop ça, car je n’arrive à bien jouer que quand je suis à fond dans mon truc. Mais je ne vais pas déroger à la règle. Nous discutons donc le bout de gras avec mon adversaire, comme deux politiciens en campagne qui s’accordent une petite trêve avant de s’insulter autour d’un débat. Finalement, je ne vais pas regretter. Au gré de nos échanges verbaux, mon rival d’un jour me lâche une petite phrase sibylline : « J’ai battu pas mal de 30, mais à partir de 15/5, j’ai jamais gagné ! A l’entraînement, oui, mais en match, je sais pas pourquoi, je n’y arrive pas. Comme si je faisais un blocage. » Le 15/5 que je suis en prend bonne note. Ça peut servir…

 

L’échauffement commence et ô miracle, les bonnes sensations sont revenues (je comprends pas tout, mais je prends). Je souris intérieurement à la vue de ce revers qui s’échine à rester dans le court. J’ai rapidement décelé la visualisation gestuelle qui me convient. Aujourd’hui, je fais dans le vintage : Chris Evert. Tamis légèrement orienté vers le haut à la préparation, gestuelle simplifiée au possible, exécution très tranquille, frappe à plat… Ouais, Chris Evert, c’est cool, ça marche pas mal. Adjugé. En plus, Chrissie avait pour habitude d’expédier ses 1ers tours. J’entrevois à mon tour une petite boucherie qui se dessine. Sommet de la condescendance. Grave erreur prépubère…

Le Rafale s’écrase comme une merde. Bilan : un mort

Je gagne le toss, effectué non sans mal, car avec ma nouvelle marque de raquette, je trouve pas « où est le cucul et où la tétête » du logo (véridique !). Avec l’autorité d’un empereur marchant vers une conquête assurée, je choisis évidemment de servir. Premier point, service gagnant. Ça, ça fait boss ! Tu parles, le « boss » va vite se prendre une levée de bouclier syndicale dans la tronche. Sur le deuxième point, mon adversaire m’expédie en Colissimo une sorte d’avion cargo qui s’élève lourdement vers le ciel, passe entre les poutres du toit de la salle avant de réussir, quelques longues secondes plus tard, un atterrissage réussi dans ma partie de terrain. J’ai largement le temps d’aller boire un café avant d’amorcer mon décalage coup droit. J’arme celui-ci avec la détermination du chasseur qui se retrouve avec un sanglier dans le viseur. Et pan ! Là, il se passe un truc étrange au moment du déclenchement de la frappe. Mon cerveau se grippe, mon geste aussi. Je sens que le coup va partir hors de mon contrôle, mais je ne peux rien faire. La balle m’échappe sans laisser d’adresse. L’avion cargo s’est mû en Rafale qui s’écrase avec fracas sur le mur en tôle opposé, dans un vacarme assourdissant. Le crash est terrible. Bilan : un mort. Mon coup droit.

 

Je le pressens rien qu’à cette première faute, et surtout à l’espèce de réaction chimique qui s’est opérée dans mon cerveau à ce moment-là : mon coup droit est parti à vau-l’au. Ou plutôt à « vole haut », devrais-je écrire à la vue des 5 ou 6 « moon-balls » que j’enchaîne dans les deux premiers jeux. Deux jeux que je remporte néanmoins grâce aux largesses de mon adversaire, sans doute encore plongé dans les vapes nauséabondes de sa cigarette. Mais je ressens au fond de moi un profond sentiment d’insécurité. Et je sais bien que les choses vont très vite se corser.

 

De fait, c’est le cas. Il lui suffit de tenir un tout petit peu plus la balle pour constater avec délectation le début de ma déliquescence : c’est simple, pendant près d’une demi-heure, je suis incapable de mettre un coup droit dans le terrain. Pas un ! Visiblement, cette nouvelle raquette n’est pas une raquette à coup droit. Alors que c’est normalement mon seul coup à peu près stable. C’est d’autant plus incompréhensible que mon revers en revanche, d’ordinaire aussi régulier que le vol d’un papillon au milieu d’une tempête, tient cette fois à peu près le choc. C’est vraiment impossible, au tennis, d’avoir tous les coups au rendez-vous le même jour ? Moi, normalement, quand le revers va, tout va. Je l’avais même une fois écrit dans ce blog (comme quoi, j’en écris des conneries). Or, là, le coup droit ne va plus. Du tout. Ce con de Père Noël, il m’a apporté un balai à chiottes ou quoi ?? Vite, un coup d’Air Wick !

Soudain, le coup de la panne…

Ceci dit, j’accuse le Père Noël très injustement (il faut bien passer ses nerfs sur quelqu’un) mais je pense savoir ce qui se passe. J’ai fait une (autre) petite expérience pour ce match. Je me suis pointé avec un bracelet-cardio au poignet. Or, je constate entre les points que je suis à 130-140 pulsations, soit l’équivalent du rythme d’un bon footing, alors que je suis censé être en forme et que nos échanges ne durent jamais plus de 4 ou 5 frappes. Y’a un loup. C’est l’émotion, forcément.

 

Alors que je persiste avec mon coup droit « benoît pairesque », mon adversaire, rassuré par ce qu’il voit, s’est lui détendu. Il se met à enchaîner les points gagnants en affichant le port altier de celui qui a chopé la plus belle gonzesse en boîte de nuit. Il se détache 4-2, 30-0 et honnêtement, c’est mérité. Il joue bien, largement mieux que moi en tout cas (ce qui n’a rien d’un exploit). Je commence doucement à envisager la défaite, et à accepter les railleries incontournables qui vont en découler, d’autant que mon adversaire est réputé pour envoyer des romans sur le groupe WhatsApp du club après chacun de ses matches (ces mecs qui racontent leurs matches de 5ème zone, vraiment, je comprends pas…)

Le résumé de mon début de match…

Plan ORSSEC, coup droit chopé et stratégie de la tortue

Survient alors un fait de jeu important. Au beau milieu d’un échange, les néons s’éteignent aussi subitement que mon coup droit en début de match. Panne générale de courant. Interruption du jeu pendant plusieurs minutes. On s’affaire autour du disjoncteur mais rien n’y fait, la lumière ne revient pas plus que mon coup droit. Comme il fait encore assez jour, mon adversaire me propose de continuer comme ça. J’hésite à lui faire le coup du match reporté. Et puis, je me ravise. De toute façon, j’en mets déjà pas une dans le court avec la lumière, ça ne peut pas être pire dans l’obscurité.

 

Cette petite pause a au moins le mérite de me remettre la tête à l’endroit. Je repense à ce que me disais mon adversaire avant le match. « A partir de 15/5, je fais un blocage… » Je me dis qu’après tout, ce blocage pourrait bien le rattraper à un moment ou à un autre. Et que ce serait bien de l’y pousser. Ni une, ni deux, je décide donc de prendre le taureau par les cornes et d’appliquer quatre mesures fortes :

 

  1. Je déclenche le plan ORSSEC niveau 5 (le plus élevé), ce qui implique de sacrifier à 100% le beau jeu sur l’autel de l’efficacité. La priorité est de mettre la balle dans le terrain, quelle que soit la manière, quel que soit le style, pour le forcer à jouer un coup en plus. Le tout sans piper le moindre mot.
  2. En conséquence de la résolution n°1, je me résous à choper mes coups droits, ce qui est la honte tennistique absolue. En termes d’honneur, on est au niveau du mec qui pique la fève à son gamin parce qu’il en marre de ne jamais être roi. Ou de celui qui vole la recette quotidienne d’un clochard dans le métro.
  3. Je décide aussi d’appliquer ce qu’Ivan Lendl (mon idole) appelait la « stratégie de la tortue », à savoir un ralentissement considérable du rythme entre les points, pour casser la dynamique adverse. Indispensable quand on est mené au score.
  4. Je joue chaque point comme s’il s’agissait d’une balle de match contre moi. Dos au mur, je me sens un peu plus relâché. Et ça m’oblige à pratiquer le fameux « point par point ».

 

Et bien, croyez-le ou non, mais le plan va marcher au-delà de toute espérance. Si mon adversaire va marquer le premier point à la reprise pour se détacher 4-2, 40-0, il va tout aussi rapidement s’emplafonner face à la bouillie de tennis que je m’apprête à lui proposer. A la vérité – mais c’est forcément un peu lié -, il s’emplafonne surtout tout seul. Il a sans doute dû cogiter lui aussi pendant la pause électrique, mais dans le mauvais sens. Parce que la manière dont il me remet en selle frise le hara-kiri. Hormis la première balle de 5-2 que je sauve d’un rarissime revers gagnant dû à l’énergie du désespoir, c’est lui qui gâche les deux autres, d’un coup droit dans le couloir et d’une volée baduf. Derrière, il enchaîne sans temps mort avec une nouvelle erreur en coup droit, suivie d’une double faute que je salue d’un « vamos » intérieur absolument jouissif. C’est que 4-3 au lieu de 5-2, ça change tout…

En exclu, une IRM de mon cerveau pendant un match de tennis.

Une auto-destruction commanditée par le haut

Je reste en alerte maximale mais en fait, sans que je le sache encore, mon adversaire a déjà implosé. Il ne marque qu’un ou deux points jusqu’à la fin du set, que je remporte 6/4. Sa générosité me va droit au cœur. D’ailleurs, à propos de cœur, mon cardio a baissé de 30 ou 40 pulsations par rapport au début du match. C’est fou quand même ! En revanche, je n’ai toujours pas résolu le mystère du coup droit, mais ça, on verra plus tard. En attendant, le « combo » coup droit chopé-montée sur le revers, vieille tactique que j’ai piquée à Jean Borotra, marche tellement bien que je n’ai pas vraiment besoin de le frapper plus proprement, même si je m’en autorise 2 ou 3 à la fin d’un 2è set à sens unique. Par contre, en revers, je retrouve par moments quelques vieilles sensations de l’enfance, époque où c’était mon meilleur coup, époque où en fait on manque tellement de puissance qu’on peut le frapper de toutes ses forces à deux mains sans qu’il ne puisse sortir des limites du terrain. Zéro coup droit, un bon revers, là, honnêtement, je comprends plus rien à mon cerveau, je comprends plus rien à ce sport. Mais si quelqu’un était capable d’expliquer rationnellement le tennis, ça se saurait.

 

Une fois sa défaite consommée, mon adversaire s’y essaie pourtant. Il me parle de son manque de réalisme, de sa mauvaise gestion tactique, de ses grosses fautes aux mauvais moments, d’une première balle qui n’est pas suffisamment bien passée, d’un problème technique sur son revers croisé… Je crois que rien de tout cela n’est vraiment la cause première de sa défaite. Je crois plutôt que tout est lié à ce qu’il avait en revanche analysé avec justesse en préambule : il a fait un blocage, tout simplement. Tout le reste, toutes les fautes qui en ont découlé, ne furent qu’une conséquence de ce postulat de base. Il a perdu tout seul. Alors qu’il avait tout pour gagner, ou au moins pour mieux faire, son cerveau, pour des raisons qui appartiennent à son histoire personnelle, lui a ordonné de s’auto-détruire. Et il s’est executé. Game over…

16 thoughts on “Le match qui va vous prouver que le tennis est un sport 100% psychologique

  1. ces mecs qui racontent leurs matches de 5ème zone, vraiment, je comprends pas…

    c’est pas exactement ce que tu viens de faire ???

        1. Les mecs qui racontent leur match seconde zone…Ca m’a perso fait beaucoup rire. Ton compte rendu est bien plus intéressant et digeste que certain compte rendu de la presse sportive grand public.
          Vincent

  2. Match piège comme on en connait souvent aux premiers tours, magnifiquement maîtrisé et raconté.
    Il appelle donc logiquement une suite…A 30 ?

  3. Ahahaha mais ce blog est HI-LA-RANT ! Bravo pour ces billets plein d’humour et bonne chance pour tes prochains matches !

  4. dans un sens ca me rassure de savoir que je ne suis pas le seul a qui son cerveau peut lui faire defaut au deuxieme point du premier jeu… le tennis c’est fatal quand ton mental est branché sur courant alternatif. Continuez votre blog c’est vraiment tres drole!

  5. Excellent, vivement le prochain épisode…AHHH si la raquette était aussi talentueuse que la plume…

  6. J’en suis à mon troisième commentaire positif , moi qui n’en fait jamais nulle part. je ne me reconnait pas
    J’ai juste picoré quelques articles à droite et à gauche au hasard de Google, tout est vrai, marrant, vécu.
    Je viens même de filer le lien du site à tout mon club de tennis.
    G-E-N-I-A-L ce blog !
    enfin, pour un joueur de tennis s’entend – J’ai fait lire un extrait à ma femme ( alors chéri, t’as gagné, t’es content ?) qui se fout du tennis, elle a à peine souri.

    1. Merci Patrick, c’est très sympa!! Le blog est un peu en sommeil pour l’instant mais il devrait reprendre le mois prochain.

      Ah nos femmes et le tennis ça fait 2 en general…

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