Tout TDM que tu sois, tu es logé à la même enseigne que les plus grands champions. Parfois, tu perds et parfois, plus ou moins souvent, tu gagnes… Sauf que, quand tu gagnes, tu ne réagis pas vraiment comme eux (ou alors, ton cas m’intéresse !). Ça mérite analyse.
« Au moment de la victoire, une immense poussée d’émotion s’est emparée de mon corps tout entier. J’ai repensé à tous ces sacrifices, ces moments de galère, ces footings hivernaux dans les bois par – 5 degrés à 6h du matin… Et je n’ai pu retenir mes larmes, ni m’empêcher de crier et sauter partout. » Ces déclarations plus ou moins imaginaires ne sont pas de toi, évidemment, si tu es comme moi, à savoir que tu n’as pas gagné le moindre tournoi depuis qu’on a abandonné les francs (voire les anciens francs si tu es carrément un vétéran avec la bouteille de Perrier et tout et tout). Elles ne sont pas de toi non plus si tu n’as jamais fait de ta vie un footing à 6h du matin par -5 degrés.
Mais quand bien même : en imaginant que tu gagnes régulièrement des tournois, et à moins que tu t’appelles Stan Wawrinka ou Novak Djokovic (mais je crois qu’ils me lisent pas), ça m’étonnerait que tu ais déjà ressenti une telle décharge émotionnelle même après ta plus belle perf. Bon, quelque part, ça se comprend un peu : quand tu gagnes, tu ne gagnes qu’une parcelle d’ego certes salvatrice, mais tu ne gagnes pas les millions de dollars ni la célébrité et le prestige qui vont avec. Tu ne t’es sûrement pas non plus autant investi dans la conquête de ce succès qu’un grand champion – arrêter la bière deux jours avant ton match, c’est un peu léger comme sacrifice – et tu n’as pas non plus fait un match de 6h pour y parvenir. Bref, t’as pas fait une Novak Djokovic après son titre en Australie en 2012 :
En fait, le niveau de réaction après une victoire est globalement – je dis bien globalement – proportionnel au niveau tennistique. Quand t’es au top, t’as le droit de te lâcher comme Boris Becker quand il gagne Wimbledon en 1986 :
Quand t’es pas mal, genre un bon 2è série, tu peux t’autoriser un levage de bras voire un bon petit « Allez !!! » des familles. Ou alors improviser un petit truc sympa comme Rafa l’an dernier à Indian Wells (c’est de saison) :
Par contre, quand Jacky (30/2) bat Michel (30/3) en phase de poules du tournoi de Vitry-en-Charollais, on l’imagine mal devenir hystérique façon Jimmy Connors à l’US Open 1978 :
Ou alors, si c’est le cas, il est peu probable que Jacky et Michel passent leurs prochaines vacances ensemble. Non, il faut bien reconnaître que la plupart du temps, les TDM que nous sommes avons une réaction de passivité absolue après une victoire. Un peu comme Serena Williams après un 1er tour en Grand Chelem :
Ou Bjorn Borg après un succès expéditif :
Une sorte d’encéphalogramme plat émotionnel, la routine absolue, la « normalitude » la plus totale. Et pourtant, avoue-le, c’est très loin d’être le cas. T’es pas du tout comme Borg ou Serena qui, eux, n’en ont VRAIMENT pas grand-chose à foutre de leur victoire de merde au 1er tour : ils sont déjà focalisés sur le tour d’après, voire sur la finale. Alors que toi…
Quand t’as vu ton adversaire bâcher un coup droit baduf sur la balle de match, tu n’as certes rien dit, mû par une pudeur pleine d’empathie à l’égard de ton rival déchu (une sorte de solidarité entre TDM). Tu n’as même pas esquissé un poing serré, ou alors timide. T’as juste sorti la 2è balle qui traînait dans ta poche, tu l’as envoyé rouler vers le banc, tu t’es dirigé d’un pas lent vers ton adversaire, tu lui as serré la main « par en-dessus » comme le font tous les tennisman aujourd’hui (qu’est-ce que ça fait ringard, les poignées de main à l’ancienne, comme quand tu salues ton boss quand il débarque dans ton bureau !), tu lui as murmuré un « bien joué » avec un sourire en coin (il a grimacé), t’as remis tes cordes en place puis t’as rangé tranquillement tes affaires. Ce faisant, t’as tenté de refaire le match avec lui, tu l’as abreuvé d’analyses à deux balles dont il n’avait rien à foutre et d’ailleurs, il ne t’a pas répondu grand-chose. Normal : lui, de son côté, n’avait qu’une envie, fracasser sa raquette et aller se cacher sous sa couette.
Bref, t’as pas beaucoup montré ta joie après ta victoire, mais à l’inverse de Borg et Serena, intérieurement, t’en pensais pas moins. Quand t’es arrivé à ta voiture, tu t’es empressé d’envoyer des textos à tes potes, puis t’as mis le CD de Queen à donf dans ton poste (« We are the champions », of course), t’as roulé la fenêtre ouverte, le coude à la portière, prêt(e) à sourire à toutes les balles nanas (ou tous les beaux mecs) qui passaient à proximité. Bref, t’étais en train de vivre la Felicidad du tennisman de merde : t’as profité un max du moment, tu t’es repassé tous tes points gagnants en boucle dans ta tête, tu t’es même peut-être mis deux ou trois bons Mojito le soir, et c’est précisément à ce moment-là que t’as perdu le match qui se profilait le lendemain. T’aurais dû te la jouer Borg (je fais une parenthèse à ce stade : il en couv’ du dernier Tennis Mag’, pour les fans des années 70 comme moi !) ou Serena : complètement « focus » sur la suite.
Mais revenons au postulat de base qui m’intéressait : ce moment précis où tu gagnes. L’instant ou tout bascule. Si tu n’as rien dit, ce n’est donc pas parce que t’étais pas content. C’est plutôt, à mon avis, parce que la décharge émotionnelle était un peu moins forte que certaines que t’as pu ressentir PENDANT le match. Comme, par exemple, sur cette cruciale balle de break où t’as lâché un putain de vamos après avoir enfin réussi à balancer un coup droit gagnant. Ça, c’est de l’inattendu, du brutal, et c’est dans ces moments-là que ton instinct animal peut prendre le dessus. Alors qu’au moment où survient la victoire, la plupart du temps (sauf si tu gagnes 7-5 au tie break du 3è set), tu la vois se dessiner relativement longtemps à l’avance. Et au moment où elle survient, tu l’as déjà intégré psychiquement : tu n’es plus dans l’émotion, tu reviens dans la raison. Donc tu t’es plus calme, façon Coco Vandewheghe après avoir battu la tenante du titre Angelique Kerber cette année en Australie :
Rien à voir, donc, avec le plaisir de l’orgas… ouais non, désolé, c’est con comme parallèle. Disons plutôt, c’est un peu comme au restaurant : le plaisir est plus grand au moment où l’on t’emmène le plat qu’au moment où tu le finis, quoi. Sauf si t’as eu de gros problèmes pendant le match avec ton adversaire et que tu peux te faire un malin plaisir de le chambrer après, comme Oscar Hernandez après un succès face au mythique Daniel Koellerer (qui manque beaucoup au circuit) :
Cela reste, à ce jour, la plus belle célébration de victoire que j’ai jamais vue sur un terrain de tennis. Et ça ressemble plus à ce qu’un TDM est capable de faire.
« et à moins que tu t’appelles Stan Wawrinka ou Novak Djokovic (mais je crois qu’ils me lisent pas) »
Excellllent article, comme toujours. Je suis ton plus grand fan et me sers de tes articles pour revenir au plus haut niveau. Vamos !
Novak D