Ce moment où… tu sens plus rien




Ces derniers temps, tu trouvais que tu jouais pas mal du tout. Et puis, un jour, tu te réveilles et tout s’écroule. Tu n’en mets plus une. Alors, soudain, c’est Hiroshima dans ta tête. Coup de zoom sur l’un des plus grands mystères de ce sport… 

C’est arrivé comme ça, d’un coup. Une sorte de chamboule-tout technico-cérébral survenu au moment (forcément) où tu te sentais le mieux. Ouais, ces derniers temps, tu te trouvais relativement pas mal. Ton jeu était plutôt en place, ta tête aussi, ta motivation, tu avais des ambitions, des projets, tu te permettais de vouloir faire évoluer ton jeu, tu commençais à dire que c’est comme ça que t’allais passer un cap, etc. Tu sentais même la balle en revers, c’est dire si le soleil brillait dans ton ciel étriqué de tennisman de merde.

Et puis, le ciel en question s’est soudainement assombri. Oh, tu n’y as pas vraiment pris garde, au début. Quelques nuages noirs survenus à la fin d’un entraînement ordinaire, quelques coups qui t’échappent, une légère sensation de perte de contrôle. Rien de gravissime, pensais-tu. Tu n’avais pas réalisé que les premières métastases s’étaient emparées de ton organisme. Le lendemain, tu reviens à l’entraînement et tu constates l’horreur : cancer généralisé de ton tennis.

A vrai dire, tu le sens avant même de taper ta première balle. Une sorte de mal-être, une envie d’être ailleurs, une brume indéfinissable qui engourdit ton cerveau. Tu prends ta raquette et tu trembles déjà. Ton partenaire engage, la balle file sur ton revers, et là arrive ce qui devait arriver : une merde infâme s’échappe de ton tamis, mélange de pudding anglais et de pâté pour chien, une fiente de pigeon qui fuse très loin de ton horizon aveuglé, dans une trajectoire non identifiée, cotonneuse et zig-zagante, absolument pas maîtrisée. Et là, tu as déjà compris, et si tu es comme moi un peu expressif, tu l’annonces même à haute voix : tu n’en mettras pas une aujourd’hui.

Hey, Carlos, mais qu’est-ce que t’as doudou dis donc ?

A ce stade, tu fais fi des sages conseils qui préconisent, dans ces cas-là, de ne surtout pas s’attacher aux sensations, mais de revenir aux « fondamentaux ». Mettre les jambes, de l’intensité, ne pas viser les lignes… Mais dans le mot « fondamentaux », il y a « mentaux », et justement, des problèmes mentaux, tu en as pas mal, aujourd’hui. En fait, t’as pas envie de faire l’effort (tu le ferais à l’extrême limite s’il s’agissait d’un match décisif par équipes), t’as zéro patience, zéro envie. Et moins tu fais l’effort, moins tu sens la balle, moins t’en mets une, et plus tu perds, qui plus est contre un mec que tu dois battre 100 fois, et qui lui virevolte dans tous les sens, et qui te saoule à répéter qu’il est en pleine forme, sans s’apercevoir une seconde que toi, par contre, t’es au fond du gouffre. Pourtant, tu fais ce qu’il faut pour lui donner des indices. Tu fais une McEnroe, grand coup de raquette dans une bouteille d’eau, suivi d’une Shapovalov, tu bazardes sciemment une balle qui atterrit non pas dans l’œil d’un malheureux arbitre qui passait par là, mais qui s’écrase avec fracas contre le panneau de score, que tu visais d’ailleurs bel et bien. Au moins un coup réussi pour aujourd’hui…

Pour le reste, il n’y a plus rien. Ton coup droit est parti se promener dans le champ de blé d’à côté, ton revers est allé se faire incinérer, ton service a pris ses RTT. Ton jeu est un champ de ruines. C’est comme si tu n’avais jamais joué de ta vie. Ou alors avec Pénélope Fillon, de manière totalement fictive. Il n’en reste plus rien, désormais. Ton tennis est une aiguille et le court est une meule. Et tu gueules, et tu geins, et tu souffres, et tu as envie d’en finir au plus vite. Tu as la fluidité gestuelle d’un éléphanteau qui s’essaierait au tricot. Avec des gants de boxe.

Bon, mais le pire dans tout ça, c’est que tu paniques. Quelques jours avant, tu jouais l’un des meilleurs tennis de ta vie. Là, t’as l’impression que c’est fini, que ça reviendra jamais, que ton cerveau de tennisman a été victime du big bug ultime. Tu perds un énième jeu, et tu décrètes que c’est fini, que tu préfères en rester là pour aujourd’hui. Tu balances avec violence ta raquette dans ton sac, en te jurant qu’on ne t’y reprendra plus de sitôt à la ressortir. Tu vas tenir ta promesse pendant quelques jours, quelque semaines, quelques mois peut-être. Et puis, un jour, tu replongeras. Parce que tu es drogué à cette merde de sport.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *