Mon année 2019 est faite. Je l’ai attaquée en disputant l’un des plus longs, et probablement le plus épique match de tennis de ma vie. Si vous arrivez au bout de ce récit, promis, vous pourrez mourir tranquille….
Niveau de compétition : 1er tour.
Classement adverse : 15/4 (ex 15/3).
Surface : Patinoire liposucée.
Sensations : Qui a foutu mon cerveau dans la machine à laver ?
Magnitude d’énervement sur l’échelle de Benoît Paire : 8.
Salut les TDM,
Et tout d’abord, bonne année 2019 à tous ! La mienne, on peut le dire, a débuté très fort. Sur le plan tennistique s’entend. Premier match de l’année, premier match de la saison même, premier match depuis six mois en réalité, et je crois que je peux déjà poser la raquette. Je n’en revivrais probablement plus d’autres comme ça. En la matière, pourtant, je pensais avoir tout vu, mais non… D’autres horizons restaient encore à explorer, et je crois cette fois que je peux l’affirmer : je viens de jouer le match le plus oufissime de ma vie ! Si ce n’est de l’histoire du tennis. Bon, là, c’est vrai, c’est un peu exagéré. C’est juste parce qu’il me fallait un titre un peu racoleur et d’ailleurs, ça a marché puisque, bande de nazes, vous avez cliqué sur ce lien et vous êtes en train non seulement de perdre 20 minutes de votre vie en lisant ces lignes, mais en plus de vous y faire insulter alors que vous feriez mieux d’aller courir pour perdre le gras accumulé pendant les graisses, bande de gros !
Allez, arrêtons les insultes pour rentrer dans le vif du sujet. Mon match. Pour replacer le contexte, c’était donc mon premier depuis six mois, parce que bon, j’ai une vie voyez-vous, mais surtout, pour ceux qui suivent, j’avaient délibérément voulu m’éloigner un temps de la compétition pour travailler mon nouveau revers à une main adopté au printemps dernier. Revers dont les premiers tours de roue, à la sortie du garage, ressemblaient davantage au roulis chaotique et toussotant d’une teuf-teuf hors d’âge qu’au glissement fluide et félin d’une berline de luxe. Mais qui, depuis quelques jours, allait beaucoup mieux, grâce, pensais-je naïvement, à une prise refermée après le visionnage sur Youtube de cette vidéo de Jean-Pierre, de team-tennis.fr. Doté de cette nouvelle technique imparable, et armé de ces belles sensations, je me croyais prêt à passer au crash-test de la compétition. Mais comment peut-on être aussi débile, à mon âge, pour penser encore qu’un simple réglage technique suffit à résoudre, comme d’un coup de baguette magique, des problèmes relevant avant tout d’une complexe alchimie émotionnelle qui ne se met à opérer qu’à partir du moment où le stress atteint un certain seuil, c’est-à-dire en match ? N’importe quel puceau pré-pubère sait pourtant que tous les entraînements du monde, si vous voyez ce que je veux dire, sont balayés comme un fétu de paille le jour où arrive enfin la première fois avec une « vraie » fille ! Bon, je vous met quand même la vidéo ici, pour ceux qui veulent :
En l’occurrence, le jour J, malgré mon manque de repères, je me sens assez serein. Certes un peu ballonné, la faute à cette 4ème Mauresque que je n’aurais décidément pas dû accepter hier soir – j’avais estimé qu’avec mon nouveau revers béton, je pouvais me permettre d’arriver un peu diminué sans que cela ne porte trop à conséquence -, mais confiant. Mon adversaire ? Tiens, je l’aperçois au loin en train de s’escrimer à ouvrir le portail de mon club. Te casse pas mon coco, sans le badge magnétique, tu n’y arriveras pas davantage qu’à me faire craquer sur mon revers aujourd’hui. Ah, ces jeunes… Jeune ? Euh, mais ne joue-je pas aujourd’hui une épreuve vétéran (oui, vétéran, vos gueules s’il vous plaît…) ? Ouh là, il y a anguille sous roche. Bon, comme le mec a l’air sympa, je ne pipe mot mais me dis intérieurement que si les choses tournent mal, je pourrais toujours poser un recours et demander la vérification de sa carte d’identité. Le tennis, un sport de gentlemen…
Plus Mauresque que Federesque
L’échauffement commence. Par réflexe, je fais en sorte que les 3-4 premières balles parviennent sur mon coup droit. Par réflexe ou plutôt par peur du « verdict », devrais-je dire. Ah oui car je sais pas vous mais moi, je sens en général dès la première frappe dans quel état mon coup supposé faible – le revers, donc – va se comporter pour le reste de la partie. C’est pour ça qu’il y a toujours un zeste d’angoisse avant d’armer cette première frappe toujours décisive. Bon, ben là, la balle arrive quand même bien à ma gauche, je ne vais pas pouvoir l’éviter. C’est marrant mais le matin, à froid, dans la pénombre jaune d’une salle éclairée par quelques néons défraîchis, je me sens beaucoup moins « federesque » que la veille au soir au moment d’entamer ma 4ème Mauresque. L’échauffement avant un match : toujours un grand moment de solitude, cette solitude que connaissent bien tous les sportifs à leur arrivée dans la chambre d’appel. Dans quelques instants, il n’y aura pas d’échappatoire possible. Ce sera la victoire ou la défaite. La vie ou la mort. Binaire. La compétition vous emmène dans un labyrinthe émotionnel dont vous êtes obligé, si vous voulez avoir une chance de vous en sortir, d’examiner chaque recoin. C’est le plus juste et le plus impitoyable des révélateurs. Et c’est probablement pour ça qu’elle est si crainte et si aimée à la fois.
J’en étais là de mes considérations philosophiques lorsqu’un accident industriel me ramène subitement à l’horrible réalité. J’ai bien armé mon revers, comme répété des dizaines de fois à l’entraînement. La main gauche qui prend le cœur de la raquette et l’emmène loin et haut derrière, façon Stan Wawrinka, tout en faisant coulisser l’instrument de travail d’un bon demi-tour pour ajuster la prise. Jusque-là, ça va. C’est au moment de l’armé que ça a bugué, je crois. Moi, j’ai voulu frapper. Mais mon cerveau, lui, n’a pas suivi. Il a ripé. Résultat, ce premier revers que je pensais, enfin que j’espérais bien lourd, bien franc, bien lifté, se transforme en fait en coup de tournevis dans un trou mal pré-percé. La balle, frappée à moitié par le cadre, à moitié par les joncs, s’envole en tournoyant, dans une trajectoire totalement incontrôlée, directement sur le « O » de la pancarte « Boucherie Morin » placardée en fond de court. Ok chef, bien reçu : on oublie le revers lifté pour aujourd’hui. Je n’en frapperais pas un durant les 3h10 de jeu qui vont suivre. Pas un seul…
Break pour Bibi, merci Père Noël
La panique n’est pas loin de me gagner d’autant qu’en face, mon adversaire semble jouer très propre, ce qu’il confirme dès l’entame du match. Premier point : service/coup droit gagnant. Bim ! Deuxième point : Service/accélération de revers/smash. Boum ! Je me demande comment c’est possible de végéter à 15/4 avec une technique aussi propre. Le cerveau peut-être ? Ah oui, le cerveau… Je le réalise sur les quatre points suivants : double faute, double faute, coup droit en orbite, volée baduf. Break pour Bibi, en ayant touché au maximum 5 fois la balle. Merci Père Noël.
Il va en être de même pendant, pour ainsi dire, l’intégralité du 1er set : mon adversaire joue un peu mieux que moi mais, avec une ingéniosité absolument admirable, se débrouille toujours pour me laisser mener au score. Dès que mon écart s’accroît un peu trop, genre 3-1 ou 4-2, il aligne des coups superbes pour recoller mais dès qu’il est en mesure de prendre les commandes, il retombe dans ses approximations. Sa générosité me va droit au cœur et je mène donc ma barque en bricolant de ci, de là, alternance de coups droits bombés et de chips saucisson. Vraiment pas glorieux, mais suffisant. Je tente bien, de temps en temps, quelques coups un peu plus dignes d’épater les 0 spectateur(s) qui ne nous regardent pas, mais je pars le plus souvent à la faute, sans que cela ne déclenche chez moi la moindre réaction d’énervement. Le fait que ce soit mon premier match depuis 6 mois me confère une grande tolérance à l’égard de moi-même. Je fais donc preuve d’une zénitude étonnante. Plus exactement, c’est l’observation de la prestation adverse qui me rassure. J’ai le sentiment qu’il va se débrouiller pour me donner le match.
Le passage le plus chaud du 1er set arrive au moment de servir pour celui-ci, à 5-4. Le manque de victoires vient alors clairement peser sur ma raquette, lors d’un jeu très long au cours duquel je caviarde joliment trois ou quatre balles de set , dont une sur une double faute (aucun souvenir des autres). Mais mon adversaire, de son côté, gâche plusieurs balles de 5-5 et, comme à l’accoutumée, finit par s’auto-saborder. 6-4 pour ma pomme.
Merde, mais c’est Robin Söderling !
Ça y est, une bonne chose de faite, me dis-je, avec la ferme intention de serrer de suite la vis dès l’entame du 2è set pour bien lui enfoncer la tête sous l’eau. Ça fonctionne : 1-0, puis 30-0 sur mon service. Je me souviens très clairement du point suivant, probablement le premier du match où je me sens parfaitement relâché. Le dernier aussi, mais ça, je ne le sais pas encore. Bref, dans ce long échange, je me vois un peu beau et, tranquillisé par l’évolution favorable du score, je crois intelligent de tenter une accélération de coup droit légèrement sauté, un peu à la Gaël Monfils, dont je visualise d’ailleurs la grande boucle et le fouetté du poignet à l’impact. Mon adversaire lève le petit doigt. Juste derrière… Merdum. Je perds aussi les 3 points suivants et manque donc l’occasion de creuser un écart peut-être définitif. 1-1, au lieu de quoi. Un simple accident de l’histoire, me dis-je. Je ne pipe mot.
Là, alors que mon adversaire s’apprête à servir, j’ai un flash. Ça y est, je sais enfin à qui il me fait penser depuis tout à l’heure. Bon sang mais c’est bien sûr, Robin Söderling ! Même silhouette robuste, mêmes appuis très ancrés au sol, même gestuelle ample au service, même petite barbichette… Bon, mais déconne pas, hein. Replonge-toi dedans, surtout que Robin a décidé de monter sur ton revers, une action de jeu qui est un peu au tennis ce qu’un premier rencard galant est dans la vie : un moment de stress ultime. Surtout ne pas paniquer (le terme est bon, je trouve), surtout ne pas bafouiller. Tactique habituelle : chandelle au ras des néons, et en avant Guingamp ! A ce niveau, quatre fois sur cinq, ça débouche soit sur un smash baduf, soit, si le lob est bien ajusté, sur une tentative de passing en pivot qui finit sur la boucherie Morin. Bon, là, ça se finit en smash gagnant. Ben quoi, ça arrive aussi, parfois…
J’ai alors, à ce moment-là, un petit coup de barre. Un peu physique, surtout mental. A 2-1 pour moi, au changement de côté, je laisse mon esprit vagabonder vers des pensées quelque peu négatives, notamment la terrible perspective de devoir reprendre le boulot le lendemain, après 15 jours de vacances de Noël. Léger coup de blues. C’est le moment également choisi par deux potes de club, qui viennent de finir leur partie dans la salle d’à côté, pour faire irruption et me demander le score. Comme s’ils n’étaient pas capables de lire le panneau, putain ! Bref, je sors un peu du truc et, soudain, vu la lenteur à laquelle avancent nos ébats baballesques, je me dis que la ligne d’arrivée est bien loin, quand même… Fatalement, les deux jeux suivants sont difficiles. Mais là encore, je peux compter sur un refus d’obstacle de mon adversaire au moment de prendre les devants. Il manque 4 ou 5 balles de 3-2. Et derrière, au lieu d’avoir sa réaction d’orgueil habituelle, se prend une nouvelle fois les pieds dans le tapis. Me voilà en tête 6/4, 5-2. Un vrai hold-up peut-être mais cette fois, c’est bel et bien fini pour lui, songe-je avec la naïveté d’une gazelle qui n’aurait encore jamais été tirée, ni par un coup de fusil ni par autre chose.
Moi, ce Manneken-Pis des courts de tennis
Allez : 5-2 service à suivre, double break et dans cette salle ultra-rapide, même avec mon service qui n’a de redoutable que sa totale imprévisibilité (même pour moi-même), ça devrait aller. Je peux me relâcher. Résultat : un premier débreak blanc. Rien de grave. Il suffit de serrer un peu au jeu suivant, ce que je fais. 15-40. Deux balles de match. J’aime ces moments-là. C’est toujours les mêmes gestes. D’abord, je me retourne vers la bâche de fond de court, tête baissée sur les cordes de ma raquette, que je remets en place une à une, délicatement, façon Maria Sharapova. Puis je me retourne en sautillant, regard de tueur. La concentration est intense. Je me susurre des mots subtils : « dans quelques instants, mon coco, je vais te niquer ! » Je me demande ce que je vais vraiment dire, au moment de la poignée de main, à mon très sympathique adversaire. Sorry, good game ? Un truc dans le genre.
Bon, je ne sais pas exactement pourquoi, mais les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu à ce moment-là. Rien à dire sur la première balle de match, sauvée de sa part d’un smash gagnant. Mais je mouille sévèrement sur la 2ème, gâchée d’un revers (chopé évidemment) mollement expédié dans le filet. La suite est un peu nébuleuse. Je me souviens d’un long jeu, durant lequel je crois avoir eu une 3ème balle de match, mais je ne saurais même pas l’affirmer. C’est assez dingue car en général, je me souviens plutôt précisément du déroulement de mes matches. Là, j’ai plein de trous. La fameuse sélectivité de la mémoire, probablement. Tout ce qui me reste de ce jeu au long cours, c’est une sensation d’humidité, ce sentiment d’avoir plus mouillé et arrosé le terrain en quelques point que la fontaine du Manneken-Pis en une journée. Et puis, bien sûr, ça se finit mal : 5-4.
Pour autant, je reste encore silencieux comme un vieux sage, toujours persuadé que Söderling va finir par me faire don du match et donc s’écrouler comme une grosse merde au jeu suivant. Mais là encore, quelques failles spatio-temporelles viennent s’immiscer dans le programme. Mon adversaire tient le choc. 5-5. Premier mouvement d’humeur de mon côté, à peine perceptible je crois. Je repars au front tout de suite. 0-40. Allez, tu lui remets la tête sous l’eau de suite, tu boucles ça 7-5 et tu seras à l’heure, comme promis à ta femme, pour le traditionnel repas dominical chez belle-maman. Cinq fautes plus tard, ça fait 6-5 pour lui. Merde, j’aurais pas dû penser à belle-maman.
Là, c’est quand même très préoccupant car c’est la première fois du match que mon adversaire est devant au tableau d’affichage, et je ne peux m’empêcher de me dire qu’il a peut-être enfin débloqué un petit quelque chose dans son cerveau. Je me bats encore comme un chien, au jeu suivant, obsédé par l’idée de ne surtout pas me laisser embarquer dans un périlleux 3è set. Mais putain, plus rien ne tourne en ma faveur, et l’autre abruti qui ne rate plus une balle ! Evidemment, ce qui devait arriver arriva. Balle de 7-5 en sa faveur : mû par l’énergie du Jedi en mission, je me précipite au filet derrière une approche de revers aussi vicieuse que ma foi plutôt précise, pour le coup. Normalement, à 15/4, il ne peut pas tirer un passing de revers dans ces conditions. Il s’y essaie pourtant, le bougre, et sa tendre missive, que j’imagine d’ores et déjà cueillie par ma volée de coup droit, tel le loup qui attend aux aguets la pauvre chèvre innocente, vient… heurter la bande du filet, ce qui a pour conséquence de légèrement dévier sa trajectoire. Oh, à peine, mais suffisamment pour me sortir de ma rêverie cruelle, et me forcer à pousser ma réplique dans la bande du filet… Qui, elle, ne me fait aucun cadeau. One set all !
Quand le bonze tibétain devient chanteur de métal
sous amphète…
A ce moment-là s’opère en moi une sorte de réaction chimique qui débouche sur une drôle de réaction. C’est comme si ma frustration trop longtemps contenue venait à remonter d’un coup à la surface pour exploser en force, façon bouchon de champagne, cocotte-minute, ou volcan en éruption, à votre guise. Bref, le bonze tibétain que j’étais fait place sans prévenir au chanteur de métal sous amphète. Tout en expédiant de toute mes forces une balle vers le panneau de score – que je rate, bien sûr – je me mets à élucubrer des hurlements incompréhensibles pour le commun des mortels. Et même pour moi-même, à vrai dire. Mais en gros, le thème principal, c’est : putain de match, putain de sport, putain de grosse moulasse qu’il a ! Ça fait 2h15 que je joue constipé sans avoir bronché une seule fois, et voilà comment je suis récompensé ?? C’est vraiment trop inzuste. Puisque c’est ça, autant se lâcher, en effet. De toute façon, vu mon état, c’est soit ça, soit l’ulcère.
Au changement de côté, je me dis tout ça et je me dis aussi que non, en fait, c’est bel et bien mort pour être à l’heure chez belle-maman. J’envoie donc un texto à ma femme et, dans l’élan, je crie mon désespoir sur twitter :
Puis, bien calmé par ma crise de nerfs, je repars au combat. Objectif : se lâcher total au 3è set, et adopter lors de celui-ci une attitude plus offensive, pour arrêter de subir le jeu.
Ça marche plutôt bien au début : 1-0, 40-0 sur mon service. Allez, c’est reparti. Et là, nouveau bug. Une double faute et quelques autres merdouilles plus tard, ça fait 1-1. Qu’y-a-t-il de plus énervant, dans la vie, que de perdre un jeu après avoir mené 40-0 ? Rien, on est d’accord. Le temps de m’en remettre et ça fait déjà 2-1 pour lui. Suffisant pour déclencher un nouveau tsunami sous mon crâne, que je tente d’éponger en me lançant dans une nouvelle conférence de presse à haute voix : « Putain mais c’est l’enfer, ce match ! » Ça y est, je suis passé en mode sans filtre, je ne fais absolument plus rien pour masquer mon désarroi à mon adversaire qui, lui, m’agace de plus en plus par son flegme imperturbable, et visiblement beaucoup plus naturel que chez moi.
Il m’agace aussi parce qu’il joue de mieux en mieux, et parce que je viens de remarquer un truc absolument horripilant. A chaque fois que je m’apprête à servir, il accentue tellement ses pas d’allègement dans sa position d’attente qu’il en fait crisser ses chaussures, ça fait un boucan d’enfer, on se croirait dans une volaillerie ! Je sais pas s’il le fait volontairement pour me déconcentrer, comme il me semble que Nastase le faisait autrefois dans certains matches. Je le soupçonne surtout de vouloir me montrer à quel point il est encore frais physiquement, alors que nous sommes au cœur du combat et que le chrono a désormais dépassé les 2h30 de jeu. Énervé par la perspective de la défaite que je sens poindre, je suis à deux doigts de lui en faire la réflexion. Ouais, je sais que c’est nul, mais se comporter comme un connard sur le terrain, on n’a encore jamais trouvé meilleur exutoire à son stress. C’est quand même pas moi qui ai inventé ce concept.
Soudain, un SMS m’extirpe de ma bulle
Bon, finalement, je ferme ma gueule, peut-être aussi parce que je commence à me soumettre à mon adversaire qui, clairement, a pris le dessus désormais. Je résiste jusqu’à 3-3 mais là, il se détache 5-3 fort logiquement. A ce moment-là, j’accepte pour la première fois l’affreuse perspective de la défaite. Bon, commencer la saison par une contre en ayant eu 2 (ou 3) balles de match, il y a plus réjouissant dans la vie, mais c’est ainsi… Evidemment, perdu pour perdu, c’est le moment où le bras se relâche un peu. Je reviens à 5-4 et je me dis alors : « Allez, j’ai perdu ce match mais on ne sait jamais, il peut encore ne pas le gagner… »
C’est précisément ce qui va se passer. Même si je n’ai, là encore, pas de très nets souvenirs du déroulement des jeux suivants – c’est la 4ème Mauresque, ou quoi ? -, je sais juste que mon adversaire m’en fait don en replongeant d’un coup dans sa torpeur initiale. J’ai un moment qui me revient en tête. Celui de l’avoir vu faire en douce quelques brefs étirements de la cuisse, signe de fléchissement physique pour lui et de regain d’espoir pour moi. Je me souviens aussi de son smash à 2 mètre du filet caviardé dans le couloir, cette lueur de désespoir dans son regard et ce poing que je serre alors ostensiblement, comme pour l’enfoncer encore un peu plus dans son malheur (mais quel connard…). A part ça, je suis profondément dans ma bulle.
Seul un texto aussi sec qu’agacé de ma femme m’en extirpe violemment, à 6-5 pour moi, au changement de côté : « T’en es où ?? » (notez les deux points d’interrogation, signe très clair d’exaspération féminine). Eh oh, minute papillon ! Paris ne s’est pas fait en un jour. J’ai un match à gagner, moi, Madame ! Et précisément, je m’apprête à servir pour parachever ce bel édifice. C’est pas le moment de me parasiter.
Explosage du mouillomètre
Bon, allez 6-5. Je sers. Double faute. 0-15. Tiens, me dis-je, ça sent le tie break au 3è set. Je me demande si j’ai déjà joué un match jusqu’à pareille extrémité. Je ne crois pas. Je me dis aussi que jamais dans ma vie je ne connaitrais le grand frisson de jouer un ultime set par deux jeux d’écart. J’en étais là de mes réflexions quand le grand gaillard d’en face me sort généreusement trois coups droits hors limite. 40-15, deux nouvelles balles de match. Pas d’enflammade, cette fois, hein… On sait ce que ça a donné tout à l’heure.
Sur la première balle de match, Robin me sort une énorme accélération de coup droit décroisée qui vient flirter avec la ligne de couloir. Je ne suis même pas sûr qu’elle soit bonne, mais elle est tellement belle – et culottée – qu’elle mérite de l’être. On n’a pas le cul sorti des ronces, décidément. J’en souris même et, pour la première fois, je m’adresse à lui : « sortir ça sur une balle de match, putain ! », lui dis-je empli d’admiration, avec tout de même dans un coin de ma tête l’idée que ça puisse un peu le déconcentrer pour le point suivant. « J’ai pas fait exprès ! », me répond-il modestement.
Chip and charge…
Bon, 2ème balle de match. Le mouillomètre est à nouveau en passe d’exploser. A ce moment-là, j’aimerais bien m’appeler Isner, ou Raonic, j’assure une belle 1ère exter, je finis sans trembler et on en parle plus. Mais bon, ça fait longtemps que ma 1ère balle n’est plus qu’une couverture de survie anti double-faute. Effrayée par la perspective de devoir servir une 2ème – mon bras n’y survivrait pas -, je pousse donc ma 1ère balle avec l’assurance d’un premier communiant qui vient chercher l’hostie. L’échange qui s’ensuit est tellement long et stressant que je déclenche un nouveau plan ORSEC, sous la forme de 2 ou 3 chops de coups droits, la honte ultime du joueur de tennis. Combien de temps va-t-il durer cet échange ? Quinze coups de raquette, peut-être 20 ? A un moment donné, je n’y tiens plus. La balle arrive dans le carré, sur mon revers. Il faut absolument mettre fin à ce supplice émotionnel. N’écoutant que mon courage, ou plutôt ne fuyant que ma peur, je ressors donc la bonne vieille tactique du « chip and charge » sur le revers. Et c’est avec un soulagement non dissimulé que j’observe son propre passing échouer, cette fois, dans les méandres du filet. Jeu, set et match ! Après 3h10 d’effort, l’un des matches les plus longs de ma vie (mon record est de 3h30).
Pa mé lé mwen kon saké ni Maldon
J’en souris béatement, de soulagement et de plaisir. Et je serre chaleureusement la main de mon adversaire, à qui j’adresse ces quelques mots tellement (peu) réconfortants. « Désolé, beau match, tu méritais de gagner… » Je n’ose songer aux insanités que je lui aurais proféré en cas de défaite. Lui reste digne, évoquant quand même – faut pas déconner – des débuts de crampes qui lui auront pourri sa fin de match. Il est quand même bien sympathique, ce mec !
Le retour à ma voiture est évidemment triomphal. J’allume la radio, Chérie FM, je tombe sur Maldon, Zouk Machine. Parfait pour fêter ça. Je pousse le volume à fond et esquisse quelques mouvements de danse, tout en serrant le poing et en proférant en moi-même un putain de vamos !! Je jette alors un coup d’œil sur ma gauche. Un vieux, dans sa Merco, me regarde d’un œil circonspect. Ok, je me calme et fonce chez belle-maman, fier d’y recevoir l’accueil triomphal que je mérite. J’arrive en plein dessert, cueilli à froid par une question qui va définitivement me ramener à la réalité. Rêve : « Alors, t’as gagné ? Bravo mon chéri ! » Réalité : « Putain, t’es au courant qu’on est censé aller chez Ikéa ?? » Tout ce que je viens de vivre n’était donc qu’un songe ?
Résultat : Victoire 6/4, 5/7, 7/5
PS : La (superbe) photo d’ouverture est signée Getty.
Mdr… le genre de victoire ou tu sais en attaquant le troisième set que tu vas passer ta soirée devant la télé en redoutant le moment où les grosses crampes aux cuisses vont te paralyser… tu sais le genre de crampe ou une boule se forme dans ta cuisse… le genre de douleur ou tu te rappel qu’a 40ans il ne faut pas négliger ton litre d’eau par set…
Mais t’es content quand même parce que t’as joué un tennis de connard contre un p’tit jeune de 17 ans qui va te dénoncer dans 10 ans…
Tu te couche souriant mais avec la peur des récidives de cette crampe dont tu peux facilement penser qu’elle correspond facilement a celle d’un accouchement… entre deux douleur tu oublie ton revers de la honte et pourtant la semaine d’avant a l’entraînement tu brillait en régularité contre ton prof 4/6…
Le l’an demain en recevant un SMS de ta femme pour penser au pain tu retombe sur son dernier sms de la veille « t’as fini ton match ? » Et l’ultime « putain t’es relou avec ton tennis »…
Du coup tu debrief avec ton pote qui a fissuré du mental en contre perf et qui annonce vouloir procéder a un reset du bocal pour retrouver son service perdu cet été…
Ce sport rend fou
Dis moi, est-ce vraiment possible que tu aies joué à 15/4 sans faire un seul revers lifté…. il est jamais monté sur ton revers…Bon et alors la suite de ton tournoi…. T’as perfé à 15/2 ?
Bravo pour ton blog très sympa
Benjamin 15/5
Mais tout à fait, c’est très possible. A chaque montée sur mon revers, je répliquais par une chandelle honteuse de laideur, mais non moins efficace…
Toujours brillants ces comptes rendus… Il me vient une question. Est ce que tu sais si tes adversaires ont eu vent de ton blog et lisent vos aventures tennistiques communes ? Ça serait drôle.
C’est ma hantise absolue… Ça finira bien par m’arriver. Ce jour-là, j’espère juste que le mec aura un peu d’humour…