La compétition de tennis amateur est un univers hostile où rôdent au coin du bois de drôles de créatures aux réactions parfois imprévisibles, voire effrayantes. Dans cette jungle impitoyable, il faut être armé pour survivre. A cet effet, je t’ai concocté ce petit guide des 14 principaux énergumènes que tu croiseras à coup sûr durant ton périple à travers les tournois de campagne, avec une analyse de leur profil psychologique et de leurs faiblesses cachées. En connaissant mieux ces psychopathes de la raquette, tu pourras mieux les combattre. Bonne croisade !
1/ Le mec qui commente son propre match
Des « Putain, bas du filet ! », « Trois mètres dehors ! », « Ah, je n’ai pas fini mon geste » ou des plus rares « oui, c’est beau, ça ! » ponctuent régulièrement le fil de son match. Ce Jean-Paul Loth des courts amateurs m’intrigue par la verve avec laquelle il accompagne chacun de ses coups. Souvent les plus ratés, d’ailleurs. On dirait une façon d’expier ses erreurs, ou de les expliquer pour ne plus les commettre, une promesse qu’il ne tiendra jamais. Il y a un incontestable côté showman en lui. Mais sa façon de s’adresser à lui-même, en se tutoyant et en s’appelant par son prénom, trahit surtout une réminiscence des injonctions parentales de l’enfance. Sans doute n’a-t-il pas surmonté le traumatisme enfoui de son père autoritaire, qui le tançait pour tout et n’importe quoi. Aujourd’hui, il perpétue ses tourments en se vilipendant à la moindre faute, comme s’il jouait à la fois le rôle du bourreau qu’il aimerait réincarner, et de la victime dans la peau de laquelle il aime se complaire.
2/ Le mec qui fracasse sa raquette
Il suscite autant les moqueries que la fascination, voire la jubilation si c’est toi qui est en face au moment où il passe à l’acte. Mais au fond, il y a dans cet acte de colère un signe d’impuissance, un caprice d’enfant révélateur de failles sous-jacentes, comme une impossibilité à résoudre des conflits intérieurs et à gérer une frustration. Fracasser sa raquette revient, au fond, à se défendre de l’anxiété née de la confrontation avec une réalité déplaisante (la faute directe, l’évolution défavorable du score…). Incapable d’admettre sa part de responsabilité, il obtient une satisfaction passagère et illusoire en affirmant sa toute-puissance à l’encontre de l’objet qu’il pense être à l’origine de son malheur. Il tente ainsi d’éviter la blessure narcissique. Le problème, c’est que ça va lui coûter 160 boules. A ce prix-là, il aurait mieux fait d’aller chez le psy.
3/ Le mec qui a toujours un pet de travers
Une contracture persistante, une murge la veille, un manque d’entraînement, une raquette détendue, son poisson rouge qui a la chiasse… Ce mec-là prolifère autant dans les tournois qu’il a d’excuses dans son sac. Mais si banal qu’il soit, il est l’un de ceux qui m’énervent le plus car en « mythonant » ainsi sa petite vie – dont du reste tout le monde se fout -, il essaie sournoisement de te refourguer la pression qu’il se met lui-même. Le plus horripilant est celui qui prend soin d’ajouter, juste avant le premier point : « j’espère juste ne pas devoir abandonner… » S’il perd, il lui restera au moins le bénéfice narcissique de t’avoir prévenu. S’il gagne, en revanche, c’est toi qui passera pour un con. Mon conseil est de ne pas tomber dans cette forme de manipulation perverse qu’il tente de t’imposer. A la première excuse, prend le à contre-pied : « moi, je suis en pleine forme, je viens de perfer à 5… » Tu vas voir qu’il va se la faire pour de vrai, sa crampe au cerveau.
4/ Le mec qui perd 8 classements dès le premier point
A l’échauffement, aucun problème : c’est fluide, c’est compact, c’est puissant, le tout avec des gestes précis et élégants… Tu as presque l’impression de voir évoluer un prof de tennis. Et puis, dès le premier point, changement brutal d’ambiance. Le bellâtre – oui, ce mec-là est souvent beau gosse – envoie tout dans le décor. Ses gifles de coups droits se perdent dans le no man’s land du grillage, son revers lifté fier et viril n’est plus qu’un désert de cendres, crapoteux et mollasson. L’Apollon garde le port altier mais ne met plus une balle dans le court. Il continuera toutefois de faire illusion au club-house, après sa défaite, sans se départir de sa gouaille ni de son assurance, avant de repartir comme un prince, ray-ban sur le nez, au volant de son cabriolet. Ce mec-là vit dans son monde, un monde d’apparence, où tout est beau, brillant, mais qui reste au fond une coquille vide. Son tennis ne fait que refléter sa vérité. La vieillesse sera son naufrage.
5/ Le mec qui gruge
Le monde des tricheurs se divise en deux catégories : ceux qui trichent aussi mal qu’ils jouent, et ceux qui savent tricher en toute impunité. Si tu veux appartenir à la deuxième catégorie, je t’invite à relire mon tuto maison. Sinon, tu resteras ce pauvre loser mal-aimé tentant un geste désespéré pour réduire la distance séparant la vision idéalisée que tu te fais de toi-même, et la réalité du score qui te rattrape à ta condition de joueur médiocre. Le tricheur ne joue pas pour jouer, il joue pour gagner et ainsi se complaire dans cette vision factice qu’il a de lui-même ou qu’il veut renvoyer aux autres. Il n’a pas besoin de se frotter à l’essence même du sport qui consiste à aller chercher des barrières pour mieux se connaître, puisque justement, il ne veut pas se connaître. Il fuit la réalité et préfère se réfugier dans sa tour d’ivoire du haut de laquelle il se sent pourtant mal. Parce que, au fond, le tricheur souffre d’un profond manque de confiance en lui.
6/ Le mec qui balance
Ce specimen-là se déniche surtout chez les plus jeunes et sort de sa tanière uniquement lorsque le score lui est défavorable. Il faut voir dans ce renoncement ostensible une forme de fuite en avant qui touche là encore à une défaillance narcissique. En perdant le match à la régulière, le joueur aurait l’impression de perdre aussi l’estime de lui-même. Alors, il préfère se saborder sciemment, au vu et au su de tous, pour garder au moins cette possibilité de pouvoir dire : « j’ai laissé filer… » Il y a plusieurs « tactiques » pour manifester cet auto-sabordage : ne plus s’arrêter au changement de côté, prendre une seule balle pour servir, taper sur tout ce qui bouge, tenter des SABR… Le but reste le même. Chez les jeunes, on peut encore y voir une immaturité passagère. Mais si vous voyez pareil comportement chez un adulte, soyez vigilant : il s’agit bien souvent d’un candidat à la dépression.
6 bis/ Le mec qui balance à 4-4 partout au 3è set
Balancer à 4-4 au 3è set revient un peu à s’effondrer à 100 m de la ligne d’arrivée d’un marathon. Le concept m’échappe totalement.
Evolution supérieure du specimen précédent, ce mec-là est capable, sous les yeux hébétés de ses potes, de détruire en quelques secondes 2h30 d’efforts pour un simple let perdant. On y voit un peu le caprice de l’enfant qui massacre à coups de pied son château de sable parce qu’un autre enfant est venu y ajouter un élément de déco qui ne lui plaisait pas. Une pulsion autodestructrice qui n’augure pas d’un futur winner. Effrayé par l’idée de ne pas être à la hauteur de lui-même, cet enfant devenu adulte préférera s’échapper plutôt que d’affronter le moment où le stress atteint son paroxysme. Toujours la même logique : mieux vaut sauter de l’avion en parachute, plutôt que de risquer le crash en restant aux commandes…
7/ Le mec qui refait ses gestes à blanc
Georges Deniau, sors de ce corps ! Tel un prof de tennis des années 70, ce mec a le réflexe bizarre de refaire systématiquement son geste à blanc après chaque faute directe. Déjà, quand tu t’appelles Marion Bartoli et que tu joues à Wimbledon, c’est ridicule mais alors quand tu t’appelles Jean-Michel et que tu joues sur le court n°5 du TC Marly-Gaumont (celui côté barbecue), c’est franchement comique. Un comique émanant aussi du décalage entre le geste technique parfait que Jean-Michel vient d’exécuter dans le vide et la véritable insulte au tennis qu’il avait produit juste avant en « réel ». Mais c’est probablement pour lui une manière de faire « reset », d’effacer les empreintes nocives laissées dans son cerveau par cette horrible faute directe, pour mieux se concentrer sur la suite. Finalement, tu crois que c’est mieux de repenser encore à ton coup droit baduf trois jeux plus tard ? Non. Alors, laisse Jean-Michel tranquille, s’il te plaît.
8/ Le mec qui ne s’énerve jamais
De tous les psychopathes que je décris ici, il est celui qui me décontenance le plus. Je ne le connais pas, ne le saisis pas… et perd à tous les coups mes moyens face à lui. Ce pervers narcissique de la raquette m’intrigue tant que je lui ai dédié une chronique parue sur We Sport : à relire ici !
9/ Le mec trop modeste
Il faut toujours se méfier de ce mec décrétant avant le match qu’il espère juste « ne pas être ridicule », alors qu’il est seulement classé un échelon en-dessous. Plus vil encore est celui qui te sort la brosse à reluire, du genre : « Je t’ai vu jouer la semaine dernière, tu es bien au-dessus ! » L’excès de modestie, comme de gentillesse, est toujours suspect. En réalité, ce mec n’a qu’une idée en tête, c’est de te fourrer bien profond ! Seulement, il a la stratégie du renard face au corbeau. Il endort sa victime à coups de flatteries sournoises. Moi je dis : méfiance ! D’autant qu’un mec aussi peu franc du collier a forcément un jeu qui va de pair, vicelard, sans rythme, chiant au possible. Impossible de jouer les « boss » quand on est incapable de frapper proprement un coup droit. Il faut ruser et c’est exactement ce qu’il fait. A toi ne pas l’écouter, et encore moins de le croire.
10/ Le mec qui se transforme en Hulk
On le connaît tous, ce mec apparemment sans histoire, propre sur lui, fonctionnaire à la RATP, à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession… et qui se transforme en bête furieuse sur un terrain. Hurlements primaires, crachats, insultes (y compris à lui-même), balles en orbite… C’est comme si le tennis, ce formidable révélateur de personnalité, l’autorisait à révéler une facette de son caractère qu’il s’interdit en tout autre lieu. Un tel comportement est sans doute pour lui une manière de transgresser un interdit parental qu’on imagine assez lourd. Et ainsi créer une décharge d’adrénaline à même de provoquer l’électrochoc tennistique. Peut-être faut-il y voir aussi, au choix, un manque d’estime ou d’évaluation de soi. Car au fond, pourquoi s’injurier si l’on pense que son jeu est satisfaisant, ou conforme à sa valeur intrinsèque ? C’est bien souvent la déception narcissique qui emmène à retourner contre soi l’agressivité nécessaire au tennis…
11/ Le mec qui n’arrive jamais frais
Peu importe l’heure de son match, il arrive toujours à moitié bourré, la faute à un repas de famille, un apéro improvisé ou un anniversaire qui s’est prolongé toute la nuit. Ce mec est la terreur absolue des capitaines d’équipe, qui se voient contraints de le convoquer à 8h pour avoir une chance de le voir se pointer à 9h30, l’œil vitreux, le cheveu en pétard, le short à l’envers et avec une haleine de poney. Se pourrait-il, de peur de ne pas jouer un gramme, qu’il préférât jouer avec un gramme dans le sang ? A moins que l’alcool ne fût pour lui un moyen d’évacuer le trac de la compétition ? Toujours est-il que ce mec reste une énigme, moins soucieux de ses résultats que d’ériger le tennis en garde-fou de son hygiène de vie déplorable. Lui t’expliquera avoir réussi un jour la perf’ de sa vie en passant directement du dance-floor au terrain. C’est une fable. En réalité, ce match, il l’avait perdu. Mais il était trop bourré pour s’en rappeler.
12/ Le mec qui parle tout le temps
Ce cousin proche du mec qui commente ses propres matches est une vraie sangsue. A peine a-t-il franchi les portes du club-house qu’il te met le grappin dessus comme si vous aviez tapé ensemble vos premiers revers baduf. Sauf que toi, là, tu en es à ton troisième caca mou et présentement aussi ouvert à la discussion qu’un ours polaire en pleine hibernation. Mais le mec – apparemment le même qui vient te parler le matin avant que tu n’aies pris ton café – va continuer à bavasser durant tout le match ! « Pas mal ton service, tu mets du kick ? » ; « Si on part au 3ème, je crois que j’explose physiquement… » Là, soit tu rentres dans son jeu et tu es assuré de sortir du match ; sois tu dégoises pas un mot et tu passes pour un connard. Généralement, tu commences par la solution 1 puis, au bout de quelques jeux, tu exploses et enclenches le mode connard. Allez, un peu d’indulgence. Ce mec est juste gangréné par une forte anxiété qu’il tente de juguler par la parole. Un peu comme une femme… (bouuuuhhh !!!).
13/ Le mec qui lâche des putains de « Vamooosss » !!
Passons sur le « Vamos » gentillet – « Come on » pour les plus anciens, « Komm Jetzt – pour les plus fanatiques – que nous murmurons tous parfois, dans une réminiscence passagère des processus identificatoires de notre enfance. Non, là, je te parle du mec qui hurle à pleins poumons des putains de « Vamooosss » à décrocher les panneaux d’éclairage. Lui évolue dans un stade supérieur de la folie. Il n’a aucun filtre, aucune limite et joue chaque match comme si sa vie en dépendait, une qualité indéniable sur le circuit qui se transforme en tare quasi-pathologique quand on se cantonne aux TMC 4ème série. La première fois où retentit face à toi ce cri de guerre, tu fais un bond apeuré comme si un grand coup de soubassophone venait de te vrombir dans les oreilles pendant ta sieste. Tu jettes un regard noir au joueur de cro-magnon face à toi, sa barbe mal taillée, son bandeau vintage, sa tenue maculée de terre, sa Rossignol en métal… Et tu te dis qu’après ce match, tu arrêtes le tennis.
14/ Le mec qui ne fait plus de match
Il est partout, ce champion du monde de l’entraînement qui ne veut plus mettre les pieds en compétition. La raison qu’il invoque est souvent la même : l’ambiance dans les tournois est pourrie. Vu ce qu’on vient d’écrire, difficile de lui donner complètement tort. Mais en creusant, on s’aperçoit que ce grand anxieux, du temps où il s’aventurait à faire des matches, était lui-même – sans le savoir – l’un des 13 psychopathes précédemment décrits. Parce que, vous l’aurez compris, nos réactions les plus basses ne sont que l’expression de nos angoisses les plus fortes. Un mécanisme de défense, en quelque sorte. Un refuge. Ce mec, lui, a eu la lucidité de s’apercevoir, plus ou moins consciemment, qu’un truc clochait. Mais il a eu à cela la pire des réactions : l’abandon. Il fera donc peut-être illusion à l’entraînement. Mais l’on ne saura jamais ce qu’il a vraiment dans le bide…
psychopathe si tu joues, et psychopathe (de type 14) si tu joues pas ; psychopathe si tu t’énerves, et psychopathe (de type 8) si tu t’énerves pas : tu ne laisses pas beaucoup d’espoir !
un truc marrant : au ping, le n°7 est considéré comme parfaitement sain et normal, et recommandé aux gamins par les coaches.
J’avoue, je suis intransigeant 😉 La morale de l’histoire serait-elle que nous sommes tous, pauvres tennismen mortels (Federer excepté, donc), des psychopathes ?