Jouer un match de tennis est toujours une expérience émotionnellement riche et éprouvante à la fois. Parce que ça peut cannibaliser toutes nos pensées pendant une journée : pendant le match, mais aussi bien avant, et souvent bien après. Le gros problème de ce sport est qu’il laisse trop de temps pour cogiter, et pour peu que tu sois un peu névrosé (on l’est tous, paraît-il), t’as vite fait de te faire des nœuds au cerveau tout seul (à ce propos, je t’invite à relire cet article que j’avais eu l’honneur d’écrire pour l’excellent Blog Tennis Concept). Voici un petit lexique de ces pensées typiquement perturbatrices qu’on peut avoir, joueur confirmé ou pas, dans le cadre d’un match de tennis. Ça te parle ?
Avant le match
1. « J’vais le piler, là. J’ai joué 2/6 hier à l’entraînement ! »
Pense à Christian Clavier dans les Bronzés font du ski : c’est peut-être hier qu’il y a eu une erreur dans l’évaluation de ton niveau… Plus sérieusement, ne jamais se fier à sa dernière impression tennistique (bonne ou mauvaise), plutôt sur la « moyenne » des dernières semaines écoulées. Crois-en mon expérience…
2. « Elle est où, ma tenue fétiche ? »
Si tu en es encore là à croire que tel short te fait obligatoirement gagner, c’est que le problème est peut-être un peu plus complexe que je croyais. Consulte un psy.
3. « J’espère que mon adversaire va être mauvais… »
Compter davantage sur la nullité de l’adversaire que sur sa propre force = raisonnement typique du joueur au mental de chips (et je sais de quoi je parle…)
4. « Bon, voyons un peu son palmarès. »
Never. Oublie. S’il a des perfs, tu vas t’en faire une montagne. S’il a des contres, tu vas te mettre la pression. Dans tous les cas, tu es perdant (quelqu’un peut-il alors m’expliquer pourquoi je le fais tout le temps ?)
5. « L’horreur !!!!! Y’a plus de banane… »
Toi, tu as trop regardé la télé. Sais-tu que la banane ne contient aucun pouvoir magique et qu’un kiwi, une pomme ou un Kinder Bueno peuvent parfaitement faire l’affaire ? (ah non pardon, mauvais exemple le Kinder Bueno)
6. « Si je joue le petit binoclard avec la Rossignol, là-bas, près du bar, ça devrait aller. »
Ouais, euh, bon… Méfie-toi quand même.
7. « Par contre, le grand balèze avec le sac Wilson, ça va être compliqué… »
T’inquiète, l’habit ne fait pas le moine (n’en déplaise à l’escroc qui t’a fourgué le polo de Roger à 80 balles).
8. « Je joue qui, si je gagne ? »
Eh bien alors, tu as oublié le fameux match après match ? Fais comme les pros, ne regarde pas ton tableau !
9. « Bordel, faut que je retourne aux toilettes ! »
Ça fait déjà trois fois ? Ton corps t’envoie un signal. Il n’est pas prêt. Il est en stress total. Vite, invente un truc pour retarder un peu l’entrée sur le court.
A l’échauffement
10. « Ouh putain, un gaucher ! »
Ah, toi aussi, tu l’as repéré direct alors qu’il avait à peine sorti la raquette de son sac ?
11. « Il faut absolument jouer fluide, pour l’impressionner. Revers chopé interdit. »
Tu sais qu’à froid, tu as autant de chances d’être fluide que Renaud à jeun de chanter juste ?
12. « Alors, il est où, son point faible ? »
Laisse tomber, tu verras ça plus tard. A cet instant, concentre-toi sur toi. En plus, le mec en face est comme toi, il va essayer de brouiller les pistes.
13. « Ok, déjà 3 coups droits baduf. Y’a rien qui va rentrer aujourd’hui. »
Bah, tu sais, les sensations au début, c’est comme le discours d’un politicien en campagne : ça veut absolument rien dire. Et pourtant, on s’y fie quand même…
14. « Mais qu’est-ce que je fous là, en fait ? »
Ah oui, ça, c’est classique. Et c’est terrible. Si cette question te vient à l’esprit à cet instant, y’a pas grand-chose à faire. Tu vas quand même pas ranger tes raquettes, prendre ton sac et planter ton adversaire ? Si ?
15.« J’ai l’impression que mon cordage est détendu… »
Chasse tout de suite cette idée de ton esprit, elle pourrait te pourrir tout le match. T’as peut-être raison mais plus tu vas y penser, plus tu auras l’impression d’avoir un filet à papillon dans la main. Au fond, 1kg de plus ou de moins, ça change pas grand-chose…
16. « C’est bon, je suis chaud ? »
Ne perds pas de temps à te poser cette question. Ton adversaire va immanquablement le faire dans les 30 secondes qui viennent. Ça rate jamais.
17. « M ou W ? Euuuuhhh… »
Non !!! Ne surtout pas hésiter, ne serait-ce qu’une fraction de seconde. On grille d’entrée le mec qui a pas confiance.
18. « Prends le service, ça fait plus winner. »
Faux. C’est une légende urbaine. Quand il gagne le toss, Rafa choisis souvent de relancer. Toi aussi, choisis ce que tu sens le mieux, et choisis bien. Le premier jeu est souvent bon à prendre, ton adversaire va à coup sûr y commettre 2 ou 3 fautes (oui, toi aussi, mais bon…).
Pendant le match
19. « Soigne ta prise, place ton appui… »
Le jour de l’examen, c’est trop tard pour réviser. Mets-toi sur pilote automatique.
20. Laisse tomber, y’a rien qui rentre aujourd’hui »
Je sais qu’il est tentant de croire certains jours qu’on t’a jeté un sort, mais en fait, non. Persévère, ça peut encore venir.
21. « Pas la double, pas la double, pas la doubl… et merde ! »
Les spécialistes de la pensée positive t’expliqueront qu’il ne faut jamais visualiser l’échec, mais toujours imaginer la réussite. Bon, maintenant qu’on t’a dit ça, c’est comme l’histoire du capitaine Haddock avec sa barbe. Dessus ou dessous la couverture ? Impossible de penser à autre chose…
22. « Je peux pas jouer contre lui, j’aime pas son jeu, j’aime pas sa tête, c’est physique… »
Je sais, c’est dur de jouer contre ce grand tout mou au regard porcin qui ne s’énerve jamais et renvoie tout au milieu. Mais pense aux mecs qui ont dû se farcir Radek Stepanek pendant 20 ans…
23. « Je fais quoi, je joue où j’annonce faute ? »
Ça, c’est un vrai casse-tête. Ça dépend du score, des circonstances, de la tête de l’adversaire, du nombre de situations litigieuses qu’il y a eu précédemment. Clairement, l’absence de Hawk-Eye est un problème majeur du tennis amateur.
24 « J’arrive pas à voir, c’est quoi sa raquette ? »
Parce que tu crois vraiment que c’est le moment de s’intéresser à ça ?
25. « Quand je pense à la journée de merde qui m’attend demain… »
Je me rappelle d’Andreï Medvedev expliquant que son préparateur mental lui demandait de visualiser des endroits beaux et paisibles, genre lac de montagne, pendant ses matches. C’est sûr que si tu penses à ta réunion de demain avec ton boss pénible et ton collègue lèche-cul juste avant une balle de break, tu augmentes tes chances de mal la négocier. Euphémisme…
26. « Je joue le feu là ! Allez, je tente un petit revers sauté… »
Et là, c’est le drame (en général)…
27. « Putain, canon, la meuf, là-bas ! C’est le moment de sortir mon service-volée. »
Et là, nouveau drame…
28. « 4-4, 30-30. Surtout, fais pas le con, t’as pas le droit de perdre ce point. »
Aïe, aïe, aïe… On retombe dans la mauvaise formulation de la pensée. Ne pense pas que tu ne dois pas perdre ce point, dis-toi plutôt que tu dois le gagner (oui, facile à dire…) !
29. « Si je gagne ce match, j’arrête l’alcool. »
Qui ne s’est pas fait ce genre de promesse à la con pendant un match ? Un jour (attention, confession intime), je me suis même promis que j’irai à la messe le lendemain en cas de victoire. J’ai perdu…
30. « Si je perds ce match, j’arrête le tennis. »
Bon, là, c’est du très classique. Tout joueur de tennis y pense en moyenne 10 fois par saison.
31. « Je fais quoi si je gagne, je brandis le poing ou je reste sobre ? »
On ne rit pas, je me suis déjà très sérieusement posé cette question.
32. « Putain mais j’ai l’air de quoi si je perds ?? »
D’un con, peut-être ? Mais nan, tu seras juste le 3 milliardième joueur de tennis à faire une contre-perf’ en bois, personne ne t’en voudra et le monde continuera de tourner. Tu verras…
Après le match
33. « Allez, un petit McDo pour me récompenser ! »
Tu crois vraiment que Roger tape dans la graisse après chacune de ses victoires ? (non, Mirka, ça compte pas les gars, un peu de respect, mince !)
34. « Je suis vraiment qu’une merde. »
Ça aussi, on se l’est tous déjà dit au moins une fois dans sa carrière mais crois-moi, ça sert à rien. Va plutôt te faire un Mojito.
35. « Faut tout de suite que je prévienne mes potes. »
Comme tu veux, mais sache-le : ils s’en branlent. Garde plutôt ton temps pour aller faire ta récup’.
36. « Je leur dis ou pas, que le mec était blessé ? Et puis merde, non… »
Non, tu as raison. Une entorse avec arrachement osseux à 2-2 au 1er set, c’est anecdotique, pas la peine de le préciser dans le futur récit hyper-réaliste de ta perf’.
37. « J’avais quand même un peu mal à l’épaule, il faut dire… »
Brillante analyse de ta défaite. C’est comme ça qu’on progresse, M. Duce…
38. « Sérieux, ça sert à quoi de s’entraîner trois fois par semaine pour jouer comme ça ? »
Ce qui est sûr, c’est que c’est pas en faisant sauter un entraînement que tu vas mieux jouer. Le problème est ailleurs…
39. « Avec ce niveau, franchement, je dois pouvoir perfer tranquille au prochain tour. »
Ouh là… Match par match, demain est un autre jour, n’oublie pas. Combien de fois je me suis enflammé comme un débutant pour m’écrouler comme une merde au tour d’après ?
40. « Avec ce niveau, franchement, vaut mieux que je redescende l’an prochain. »
Arrête de te flageller, t’as quand même pas eu ton classement dans un Kinder Surprise, si ? Ah non, pardon, on avait dit pas les Kinder…
Note de l’auteur : Par mesure de prévention contre d’éventuels soupçons de sexisme, je précise que tous mes textes et photos sont déclinables au masculin, au féminin ainsi qu’au genre neutre.
Je découvre le site et je dois bien avouer que c’est extra !!!! Ton analyse du tennis est parfaite et je dois dire que je me marre à faire des transferts sur moi ou mes joueurs 😉 C’est tout bonnement excellent, merci pour ton honnêteté et auto dérision, beaucoup de tennis en manque (cf « le nombre d’idiots » qui jouent).
Amitiés
Salut, merci c’est super gentil 😉
Je suis le premier à manquer d’auto-dérision sur le terrain, c’est après que j’essaie de prendre un peu de recul… Une forme de thérapie, quoi !
N’hésite pas à me faire remonter tes expériences de joueur les plus « ratés », c’est toujours une source d’inspiration.
Merci encore !
J’ai découvert ce site depuis quelques jours… C’est exceptionnel ! Des barres de rires 🙂 Pour ma part la 26 et la 34 me traverse l’esprit sur chaque match ^^
Merci, rien ne me fait plus plaisir !
A part peut-être un let gagnant sur balle de break, et encore…
C’est vrai que c’est jouissif ! Mélange de soulagement et de gêne en même temps pour l’adversaire… Car c’est vraiment pas de chatte.
L’article sur le père spirituel de Benoit Paire est aussi très bon ! Je l’ai vécu également… Un adversaire sympa en dehors du terrain seulement ahah
Bonjour,
Vous êtes joueur, moi maman et Fan absolue de mon tennisman de fils. J’ai l’impression que certaines de ces pensées nocives ont été écrites par lui…