Ce moment où… tu mets un ace




J’ai lu, hier, que Roger Federer avait réussi un ace pour son premier point disputé en match (certes exhibition) depuis six mois. Ça m’a fait sourire car moi, je l’avoue, c’est un peu l’inverse. Généralement, il me faut six mois de compétition pour mettre un ace. J’exagère vraiment à peine. Bon, je vous ai déjà fait part de mon service de moineau neurasthénique. Mais quand même. A l’entraînement, j’ai un ratio légèrement supérieur. Disons, allez, je mets un ace tous les deux entraînements. Parce que je me lâche davantage et que je n’hésite pas à « claquer » mes 1ères (rires en fond sonore).

En match en revanche, c’est une autre histoire. Je ne sais pas vous mais moi, en tant que tennisman de merde, je n’arrive pas à prendre des risques en 1ère balle. Enfin, surtout, je n’ose pas. Trop peur de la double faute. Quand je rate ma 1ère balle et que je dois jouer une 2ème, pendant tout le mouvement, je ne pense qu’à une chose : tu vas faire une double, tu vas faire une double, tu vas faire une double… Comme une pancarte énorme qui clignote au-dessus de ma tête. Je maudis le mec qui a dit un jour cette phrase débile : « quand tu prépares ton coup, ne pense pas que tu vas rater, visualise que tu vas réussir. » Mais bordel de merde, depuis que j’ai lu ça, je ne peux justement pas m’empêcher de penser à cette putain de 2è balle qui au mieux va échouer dans la bande du filet, au pire rebondir sur le cadre extérieur de ma raquette pour finir sur la chaise d’arbitre voire sur le court d’à-côté, façon la Piole ! J’appelle ça de la visualisation négative. Cela ne me le fait qu’au service et qu’en 2è balle, probablement parce que c’est à la fois le coup où l’on a le plus de temps et le plus de pression. Le pire, c’est que la plupart du temps, je ne la fais pas, cette double faute. Mais ça me met dans un état d’esprit négatif qui n’est probablement pas le meilleur moyen pour entamer l’échange.

 

Un ace sur point important, pour moi, c’est de la science-fiction !

 

Bon, voilà pourquoi les aces, je n’en réussis jamais en match. D’ailleurs, les rares fois où j’en tente un, bizarrement, le lancer de balle et le timing sont beaucoup plus aléatoires qu’à l’entraînement. Et pour peu que ce soit sur un point important dans un match serré, autant dire que réussir l’ace relève pour moi de la science-fiction, là où pour Roger et ses potes, visiblement, c’est la routine. On dit que ces mecs là ont du mental mais franchement, quand on peut collecter une pelletée de points gratuits comme ça, c’est beaucoup plus facile ! Imaginez qu’on serve à partir de la ligne de carré, on aurait un ratio d’aces et de services gagnants à peu près égal aux meilleurs joueurs du monde, je peux vous dire qu’on serait beaucoup plus sereins sur nos engagements !

Mais revenons à nos moutons. La dernière fois que j’ai réussi un ace en match, donc, c’était en 2016. Ouais, facile, j’ai toujours pas joué en 2017. C’était mon dernier match de l’année, toujours dans le cadre de mon tournoi interne, match que j’ai gagné 6/1, 6/1 face à un adversaire gravement touché par la « tennismandemerdidute » et qui vaudrait lui aussi son article dédié, mais je voudrais pas donner l’impression de m’acharner. Adversaire, en tout cas, qui s’était pris pour un Père Noël avant l’heure et qui a passé la plupart de son match à me faire cadeau de celui-ci. Bon, il m’a bien glissé à la fin qu’il n’avait réussi à jouer son jeu que durant 2 jeux dans le match, ce qui m’a passablement vexé, mais c’est une autre histoire…

 

Contrairement à certains grands joueurs, moi, j’applique la politique de l’alternance de la balle

 

Malgré la rareté du moment, je ne me rappelle plus précisément à quel moment du match c’est arrivé. Mais je sais que le score m’était déjà largement favorable, genre 6/1, 3-1, 40-15, un truc comme ça. Je sais aussi que c’était du côté des égalités car – ah oui, je vous ai pas dit – quand je réussis un ace, c’est en général toujours le même, côté égalité, le slice court bien fuyant, avec évidemment le concours d’une salle bien rapide (quasiment infaisable sur terre). Parfois, je le réussis alors que je tentais l’ace à plat sur le T, dans une sorte de « vrillé » du poignet aussi involontaire que techniquement incompréhensible. Dans ces cas-là, sauf à être particulièrement de bonne humeur, je fais bien sûr toujours genre que je l’ai fait exprès (la base 😉

Je peux aussi décrire la routine qui a précédé mon ace, puisque c’est toujours la même. Contrairement à certains joueurs genre Gasquet qui prennent toujours la balle avec laquelle ils viennent de gagner le point, moi, je fais l’inverse. Je considère qu’à mon niveau, une même balle ne peut pas gagner deux points consécutivement. Je pratique donc la politique de l’alternance. Quand je gagne un point, je prends systématiquement une autre balle. Ne me demandez pas pourquoi je fais ça, mais je fais ça depuis quasiment toujours. Ce qui me rassure, c’est le fait d’avoir lu que tous les grands champions ont leur propre routine de concentration, genre Rafa avec ses bouteilles ou Sharap’ avec ses cordes. Ça doit être ma routine à moi. Pardon ? Qu’est-ce que je fais de la balle quand je perds le point ? Me déconcentrez pas, c’est pas l’sujet.

 

J’ôte la balle de ma poche et l’envoie négligemment rouler derrière moi

 

J’ai donc soigneusement choisi ma balle, puis j’ai pris position, les pieds à 15h05, comme me l’indiquait mon premier initiateur de tennis (parfois, quand mon jeu part vraiment en vrille, je suis plutôt à 16h-16h10 mais ça aussi, c’est une autre histoire). En début de geste, j’ai balancé mon bras droit vers l’arrière, un truc emprunté à Roger. Je me suis appliqué à bien lancer la balle qui est arrivée pile-poil comme je voulais, légèrement devant, légèrement sur la droite, parfait pour un slice bien vicieux. Dans un effort laborieux assorti d’un râle étouffé juste avant l’impact – le même que Murray – je me suis grandi au maximum et libéré mon bras sans parasite excessif. La balle – et cette fois c’est vrai ! – est partie là où je voulais, mais bien mieux que je ne l’aurais espéré. Bien croisée, pleine ligne. Dans une tentative de sauvetage désespéré, j’ai vu mon orgueilleux adversaire se détendre vers une cible dont il savait pourtant déjà, sans doute, qu’il ne l’atteindrait pas. Il n’a récolté qu’un air-shot aussi prévisible que pathétique, manquant d’ailleurs de se casser la figure au passage.

Moment extatique, d’une rareté et d’une solennité suprêmes. Je viens de mettre un ace. Mon premier souci à ce moment-là est de masquer tout signe extérieur de jubilation intérieure. Je garde le masque. Pas un trait d’expression ne viendra déformer mon visage. Surtout, surtout, faire comme si c’était normal, comme si ça m’arrivait 20 fois par match. Je ne crois pas que je joue pas consciemment cette comédie. C’est plutôt une sorte de rituel mimétique. En plus, un détail vient transformer ce moment de plaisir extrême en orgasme suprême. C’était une balle de jeu. Je peux donc poursuivre mon mouvement en regagnant ma chaise d’un pas tranquille et décidé. Limite en remettant, d’un bref coup de front dans le vide, la mèche de cheveux que je n’ai pas, comme Federer quand il enlève son bandeau. Puis j’ôte délicatement ma seconde balle de ma poche gauche et l’envoie rouler négligemment derrière moi, côté opposé, comme s’il y avait un ramasseur posté là-bas. Et je poursuis ainsi ma marche triomphale vers la chaise, sourcils froncés et tête haute, l’air soucieux et concentré, intérieurement fier comme un paon…

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