Ils nous pourrissent la vie au boulot, dans la rue, au restau, à la piscine, au supermarché, ou beaucoup dans les stations-service en ce moment… Bref, les cons nous pourrissent la vie partout, tout le temps. Mais jamais autant que sur un terrain de tennis.
En préambule à cet article, il faut tenter de répondre à la sempiternelle question : au fond, qu’est-ce qu’un con ? Question simple, réponse compliquée. Ma définition personnelle du con – à ne pas confondre avec le connard – est une personne qui non seulement ne suscite ni bien-être ni intérêt, mais qui, pire, donne en sa « compagnie » l’impression d’être soi-même complètement con. Bref, qui donne l’envie de partir en courant. Mais chacun a sa propre vision.
Attendu qu’on est tous le con (comme le vieux) de quelqu’un, eh bien le con, finalement, c’est peut-être toi, c’est peut-être moi. Bien qu’en général, ce soit plutôt l’autre. En fait, le con est partout, sans qu’on puisse jamais l’identifier de manière incontestable, sauf quelques cas hors-concours. Pour les autres, c’est une question de point de vue, de sensibilité et de circonstances. La connerie, sans doute plus encore que l’intelligence, est une notion subjective.
Au tennis, toutefois, il y a des cons totalement objectifs. Et eux, impossible d’en réchapper. Dans la vie, face à un con, tu peux toujours changer de pièce ou prétexter un soudain cours de poney pour fuir le face-à-face. Au tennis, impossible : tu es coincé avec cet abruti au moins jusqu’à la fin du match, parfois même (si tu es trop gentil) jusqu’au pot d’après-match.
C’est, je pense, l’une des nombreuses raisons qui contribuent à faire du tennis un sport qui rend fou. Surtout que, sur un terrain, les cons sont légion. J’en dénombre au moins huit genres différents. Attention, gare à ces cons-là :
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Le con qui ne fait que parler
Audiard disait qu’on reconnait les cons au fait qu’ils osent tout. Possible. Pour ma part, je trouve surtout que le con parle en général beaucoup (trop). Blagues débiles, commentaires technico-tactiques à chaque point, disgressions sur les économies d’énergie ou sur la pénurie d’essence à tous les changements de côté… Ce con a le chic pour transformer un terrain de tennis en café du commerce.
Sa stratégie est probablement involontaire mais elle marche du tonnerre face à toi : tu te sens obligé de lui répondre, tu n’arrives plus à te concentrer et tu ne peux pas jouer quand tu n’es pas concentré. Le con, lui, ne connaît même pas le concept de concentration. Après t’avoir battu, il s’escrimera à vouloir procéder à une analyse détaillée de tes défauts techniques et tu n’auras alors qu’une envie : te jeter d’un pont. Qu’on en finisse.
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Le con qui ne fait que gueuler
J’ai une tolérance et même une affection particulières pour les énervés de la raquette, n’étant moi-même pas précisément un modèle de vertu sur un terrain. Mais à un moment donné, faut pas déconner. Ce con-là hurle quasiment à chaque faute, proférant des insanités qu’on n’entendrait même pas derrière la main courante d’un stade de foot de District. A côté de lui, Benoît Paire est un bonze sous Tranxène.
Quand on en arrive à cette extrémité, c’est qu’on n’a pas tout à fait huilé les jointures de sa psyché torturée, condition sine qua non pour exploiter un pourcentage décent de son médiocre potentiel. Mais le problème du con hurleur est qu’il en vient presque à te faire de la peine. Comme tu es d’un naturel empathique, tu n’arrives plus à lui maintenir la tête sous l’eau. Pire : il t’arrive même de le relancer, plus ou moins volontairement.
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Le con qui prend le tennis trop au sérieux
Tu le vois venir dès le vestiaire, avec son Thermobag Wilson plus gros qu’un argument de récupération politique de Manuel Valls et ses échauffements ésotériques d’avant-match. Alors qu’il vient d’atteindre son best-ranking (15/4) à 48 ans, il claque chaque mois son Codevi dans du matos de pro qu’il rendra responsable de la moindre défaillance de son coup droit, ce qui n’est pas tout à fait faux puisque cet abruti joue en Pro Staff Autograph à 340 g, cordée avec un monofilament à 28 kilos.
Vieux garçon, fraîchement divorcé ou simplement en break (break généralement confirmé), il noie son absence de vie dans une pratique acharnée du tennis qui jure avec sa technique de canard boiteux. Bon, tu n’es pas spécialement meilleur que lui mais tu as l’impression d’appartenir à un autre monde, tiraillé entre ton envie de lui afficher ton dilettantisme à la figure et ton refus absolu de perdre face à lui. Résultat, tu ne trouves jamais la bonne attitude. Et tu fais de la merde.
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Le con qui ne prend pas assez le tennis au sérieux
Entre jouer avec le matos de Federer et se pointer sur le terrain avec un survêt Patrick mal fagoté et une Rossignol des années 80 (celle avec le pont inversé), il y a une marge, non ? A l’opposé du maniaco-dépressif de la raquette, lui semble se foutre littéralement de ta gueule. Il a pourtant du potentiel, ce con. Mais il n’en exploite pas un gramme. Parce qu’il est trop con.
Non, je suis désolé, mais ça ne va pas non plus. Si tu abhorres les joueurs qui se prennent au sérieux, le tennis reste malgré tout une affaire sérieuse (nuance) et doit être traité comme telle. En négligeant éhontément son apparat pour une sombre histoire d’économie ou d’aversion à la mode, ce con-là enfreint la loi fondamentale du tennisman de bas étage selon laquelle le geste est au moins aussi important que son efficacité. Le problème est qu’il te tire vers le bas, son style tennistique étant bien souvent au diapason de son style vestimentaire. Manque plus que la coupe mulet et tu abandonnes au bout de trois jeux.
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Le con qui ne comprend rien à ce sport
Rien à redire sur son look, sa gestuelle ou sa vie privée que tu ne connais de toute façon pas et dont tu te branles comme de ta première double-faute. C’est juste que ce con-là, typiquement Français, incarne la raison pour laquelle aucun joueur tricolore n’a gagné de Grand Chelem depuis Noah en 83 : il ne comprend rien à ce sport, n’a aucun sens tactique, ne fait que taper comme un sourd dans la balle, persuadé, comme tous les abrutix dénoncés par Gilles Simon dans son livre, que le seul tennis qui vaille est celui pratiqué par Federer.
Jouer en équipe avec lui est un cauchemar : le seul conseil qu’il te répète en boucle est de jouer plus « agressif », comme si ça t’amusait de pousser la balle dans le carré, bordel de merde ! Mais jouer contre lui, c’est pire : à peine vas-tu commencer à lui pourrir le jeu – parce que ça marche à tous les coups – qu’il va se mettre à t’insulter à tout-va en commençant, après trois jeux caviardés, par sa phrase fétiche : « mais c’est pas du tenniiiiiiiiis !! »
Si, c’est du tennis. Mais comme tu es sensible aux insultes, tu vas vouloir lui prouver que tu sais aussi faire autre chose. Tu vas donc tenter deux ou trois service-volée. Et là, c’est le drame…
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Le con qui triche
A mettre plutôt dans la catégorie connard, en fait.
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Le con psychorigide
Avec lui, le règlement, c’est le règlement. A peine arrivé, il mesure le filet, remet les piquets de simple en place (t’avais même pas fait gaffe qu’ils étaient enlevés), jauge la lumière et procède au toss avant même le début l’échauffement (là, avoue, tu es perturbé). Toi qui as toujours eu du mal avec les lois et l’autorité, tu devras t’y faire : aujourd’hui, pas de bol, tu es tombé face à un procédurier de première. D’ailleurs, il t’avouera plus tard qu’il a eu son diplôme de JA 2 et qu’il a même été juge de ligne au Future de Nevers dans les années 2000. Tu feras mine d’être impressionné.
Soyons clairs : nul n’est plus mauvais au tennis qu’un arbitre, ça devrait te mettre en confiance mais son état d’esprit psychorigide te met surtout dans de mauvaises dispositions. Tu sais déjà que c’est pas avec cet énergumène que tu vas te marrer pendant le match, et encore moins après le match, au bar. Du coup, dans ton match, eh bien tu n’y rentreras jamais.
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Le con qui ne mouille jamais
Yannick Noah disait : « il faut être un peu con pour jouer au tennis. » Ça se discute, mais il est vrai que le con a pour lui un avantage non négligeable : il ne mouille jamais. Vous avez remarqué ? Même dans les moments importants, il ose jusqu’aux coups les plus fous et c’est à ce moment-là qu’on retrouve bel et bien du Audiard en lui. Le syndrome du petit bras semble glisser sur sa raquette comme l’eau lisse d’un lac sur le fuselage d’un cygne. C’est très énervant.
Le problème face à lui, c’est que ton habituel petit manège psychologique de pervers narcissique des terrains ne marche pas : il ne comprend rien à tes manœuvres de déstabilisation. Même après lui avoir fait le bon vieux coup de la crampe ou une bruyante reprise d’appuis entre ses deux balles de service, cet abruti est capable de te mettre à 3 m sans savoir comment il a fait. Normal : il n’intellectualise pas son geste, et encore moins sa stratégie. Ce qui te déstabilise au plus haut point chez ce poulet sans tête, c’est d’avoir l’impression que le sort du match t’échappe totalement. Et plus encore sa capacité à faire ce dont tu es bien incapable : jouer avec le cerveau primitif.
Conclusion
Attention : il arrive parfois (souvent même) qu’un con coche plusieurs cases : on a alors affaire à un con de haute volée. Mon humble conseil, en guise de morale à cette histoire, serait de ne pas mettre trop d’enjeu intellectuel dans un match. Parce qu’au fond, le fait d’avoir tant de mal à jouer contre un con ne serait-il pas lié à la nature même du tennis ? Dans ce sport d’opposition psychologique par excellence, perdre contre un con, pour un ego mal dégrossi, peut revenir à être encore plus con que le con contre lequel on vient de perdre. A bien y réfléchir (si on peut), c’est complètement con, non ?