Après avoir rencontré au tour précédent un mec qui m’avait téléphoné pour me prévenir à l’avance de son abandon, j’ai pris une raclée contre un dépressif méprisant (mais surdoué) qui m’a mis une branlée en passant le match les yeux rivés sur son portable. La lose !
Surface : Cabine téléphonique en greenset.
Classement adversaire : 15/2 (ex-3/6 😱).
Résultat : Défaite 6/0, 6/4.
Sensations : Pareil que quand ton boss t’engueule au téléphone et que tu peux pas en placer une…
Magnitude d’énervement sur l’échelle de Benoît Paire : 6/10.
Salut à tous,
Il faut croire que, en ce moment, j’ai de très mauvaises ondes avec les téléphones (vous l’avez, la vanne d’entrée ?). Lors du tour précédent du tournoi auquel je participe en ce moment, j’avais vécu un épisode assez inédit face à un mec qui m’avait téléphoné pour me prévenir à l’avance de son futur abandon. Bon, pourquoi pas. Mieux valait en rire, prendre ma perf à 15/4 et nexter l’épisode jusqu’au tour suivant. Le tour suivant, justement, c’était face à un mec classé 15/2, anciennement 3/6, à peu près quintuple sinon décuple tenant du titre du présent tournoi. Niveau progressivité du tableau, on est à peu près à ce niveau :
Je m’attends évidemment à un match relativement compliqué… sur le terrain. Je ne pensais pas qu’il le serait dès l’organisation des hostilités. J’aime ce genre de tournois qui se disputent sur plusieurs semaines, ce qui donne du temps et de la flexibilité pour planifier ses matches. Mais il y a des fois où l’on regrette la psycho-rigidité des juges-arbitres parisiens. A un moment donné, niveau emploi du temps, il ne faut pas exagérer ! Si j’avais dû jouer contre Macron (très bon joueur de tennis paraît-il), ça n’aurait pas été plus galère de trouver une disponibilité commune. En 15 jours de latitude, mon adversaire n’a qu’une possibilité : le samedi matin. C’est faible. D’autant qu’il y a un autre souci : au moment de réserver, je m’aperçois que les terrains sont pris dès 10 h par le père spirituel de Benoît Paire, qui a lui aussi un match de prévu de son côté (visiblement, nos entraînements épiques ne l’ont pas encore dégoûté du tennis). Ni une, ni deux, je ne me dégonfle pas et ose l’impensable : je propose à mon adversaire de jouer à 8h du matin…
Je pense que cet horaire cauchemardesque ne pourrait être qu’en ma faveur, puisqu’il est évidemment impossible pour un être humain normalement constitué de dérouler un tennis correct aussi tôt le matin, surtout un week-end. Avouons-le, je mise sur un nivellement des valeurs par le bas, un peu comme ces petits poucets en coupe de France qui reçoivent les ténors de la Ligue 1 sur des terrains de football à peine dignes d’être un champ de labour pour un candidat franc-comtois à l’Amour est dans le Pré. Pour peu que mon adversaire soit fêtard, il y a même une petite chance qu’il arrive encore bourré sur le terrain. Bref, je mise sur le traquenard absolu. Bon prince, à la demande de mon rival qui sent probablement venir le coup fourré, je contacte néanmoins le père spirituel de Benoît Paire pour le convaincre de décaler son match. Ce dernier m’octroie une demi-heure de « rab’ », jusqu’à 10h30. Là-dessus, mon adversaire commence à jouer les marchands de tapis et me dit que puisqu’il en est ainsi, on peut jouer à 9h. Je commence à voir clair dans son jeu. Le mec se dit probablement qu’1h de match devrait être largement suffisante pour expédier un petit 15/5 de mon espèce. Confiant en mes sensations du moment et en mes capacités, non pas à gagner, mais au moins à le titiller un peu plus que le temps escompté, je lance le duel psychologique à distance : « Non, sinon on risque de ne pas finir, ce serait dommage ». Mais je coupe la poire en deux : « Disons 8h30… » Ma bonté me perdra.
Là-dessus, mon rival noctambule se perd dans ses miasmes psychologiques et me textote frénétiquement qu’il a « horreur de jouer le matin », qu’il risque « de ne pas être en état », et autres jérémiades dignes du bureau des pleurs. Je prends acte de sa faiblesse mentale mais reste ferme sur mes négos. Ce sera 8h30, et pis c’est tout ! Il est possible que ce soit à partir de ce moment-là que mon adversaire ait développé une certaine haine à mon encontre.
Soudain resurgit la phobie du 6/0, 6/0…
Quand mon adversaire fait son entrée sur le court…
Bon gré mal gré, l’énergumène est toutefois là et bien là au jour et à l’heure dite, débarquant le cheveu en bataille et l’œil vitreux de celui qui a passé sa nuit à courir la gueuse. Il me maugrée quelques phrases difficilement audibles cependant que, dans un coin de mon cerveau, je commence à envisager la micro-possibilité d’une victoire. La partie restante (beaucoup plus large) de mon cerveau n’a toutefois qu’une idée en tête : éviter le 6/0, 6/0, un truc complètement con qui m’obsède depuis toujours. Car, pour des raisons un brin obscures, mais ayant sans doute beaucoup à voir avec la générosité d’adversaires conciliants face à tant d’opiniâtreté, je n’ai jamais de ma vie connu l’affront d’encaisser deux roues de bicyclette. Et j’y tiens comme à mon premier poster de Connors. Pour un peu, je brandirais ça presque comme une fierté, une ligne de prestige sur un CV. Une ligne que je traîne toutefois comme un boulet, vu le surcroît de pression ridicule que je me rajoute à chaque fois que je dois croiser le fer avec un gars que je sais largement plus fort.
De fait, c’est exactement ce qui va contrarier mes plans dans ce match que je débute pourtant parfaitement, avec en guise de premier point un rallye d’une trentaine de frappes que je remporte à l’asphyxie. K. O. (ou encore endormi), mon adversaire, au service, me fait don des deux points suivants, si bien que me voilà d’entrée avec trois balles de break en ma faveur. C’est précisément à ce moment-là que surgissent en moi les premières pensées parasites : « bon, il faut absolument faire ce jeu, comme ça t’évacues d’entrée la peur du 6/0, 6/0 ! » Sauf que ce n’est pas du tout avec cet esprit que j’avais attaqué le match. Au tout début, j’étais plutôt animé par l’envie de lui remettre le plus de balles possible dans le terrain afin de prolonger ma résistance le plus longtemps possible et lui faire ravaler son péché d’orgueil initial, celui d’avoir cru qu’il allait pouvoir m’expédier avant le gong. C’est là où l’on voit quand même que le tennis est une mécanique assez fine. Car ce simple petit changement de mon dialogue intérieur fait que je me crispe quasiment d’un point à l’autre. Mon petit bras – et aussi, reconnaissons-le, le service slicé de gaucher bien vicieux de mon opposant – me fait rater ces trois (et même quatre) balles de break d’entrée. Derrière, sur mon service, je rate encore une balle de jeu et me voilà mené 2-0, au lieu de l’inverse. Mon plan « hold-up parfait » s’éloigne aussi vite que se rapproche le fantôme de la bicyclette.
A partir de là, je me tends pour de bon, alors que mon adversaire sort peu à peu de sa torpeur matinale. A 5-0, lui qui ne m’a pas dégoisé un mot s’autorise à me chambrer. « C’est moi où elles sont lourdes, les balles ? J’ai dû mal à les contrôler ! », me glisse-t-il, un sourire un coin. Ah bon, connard, c’est pour ça que tu m’alignes les revers gagnants (oui, je dois l’admettre, son revers à une main est franchement magnifique) ? « Non, non, lui réponds-je en bougonnant, c’est pas les balles, c’est juste moi qui en mets pas une. » Et c’est vrai que j’en mets plus une. Et ça me saoule tellement de voir désormais défiler les jeux ainsi que la perspective de me voir balayé en moins d’une heure comme il l’avait pressenti. A ce rythme, on aurait pu tout aussi bien commencer à 9h30. Et je vais bien passer pour un con ! Comble de tout, au précédent changement de côté, l’autre m’a affiché à la tronche sa supériorité écrasante – et son ennui manifeste – en sortant de la poche de son survêt son téléphone portable. Je l’ai vu, des mes yeux vu, pianoter frénétiquement entre deux gorgées d’eau un texto dont je n’ose imaginer la teneur : « Chérie, je finis d’écraser cette bouse et je suis là dans 15 minutes. OK ? »
« Bon, encore deux jeux et j’arrête » !
Il est vrai qu’à 6/0, 2-0 contre moi, les éléments ne plaident guère en ma faveur. Mais c’est alors que le mi-mi, le ra-ra, le miracle se produit. Bien aidé par l’artiste d’en face qui commet ses premières ratures, je remporte enfin ce premier jeu tant attendu. Libérééé, délivrééé !! Je ne partirai pas en vélo. J’en ressens un profond soulagement que je tente de transformer en trait d’humour, pour dédramatiser la tension ambiante. Je lève les bras au ciel telle une rock-star implorant son public en transe. Radek Stepanek attitude. Mon adversaire y goûte modérément. Pas un mot, pas un regard mais une balle violemment balancée sur le tableau de score. WTF ?? Assurément, le GOAT du quartier fait la gueule…
Je pense déjà qu’à la base, ça le saoule profondément de s’être levé aussi tôt pour jouer contre moi un match qui ne lui apportera rien. Mais là, de me voir m’accrocher comme un damné à mes maigres espérances, ça le fout littéralement hors de lui. Il n’a qu’une envie, c’est de se casser (après avoir gagné, quand même, au préalable) et évidemment, ma petite esquisse de résistance contrarie ses plans. Même s’il se détache 3-1, peut-être commence-t-il à s’inquiéter de son état physique (je serais lui, je m’inquièterais plutôt de mon état mental, mais bon…). Son niveau a en effet chuté d’un cran à mesure que moi, de mon côté, je me suis délesté de quelques kilos de pression supplémentaires après avoir enfin débloqué mon compteur. La fameuse théorie des vases communicants…
Arrive le point qui va faire basculer la partie dans une dimension surréaliste. C’est une balle pour revenir à 2-3. On est dans le schéma immuable depuis le début du match : lui, l’attaquant très doué me fait visiter le court, et moi, en bon gros rat, je défends comme un damné mon bout de gras. Je le pousse à smasher une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Et ce qui devait arriver arriva, le dernier smash finit dans le couloir, à l’image de ce point de légende de Jimmy Connors (encore lui) face à Paul Haarhuis à l’US Open en 1991 :
Et hop, un morceau de gruyère râpé dans ma souricière ! Le mec rentre alors littéralement en furie, et me proclame l’incompréhensible (mais apparemment classique ici) : « bon, encore deux jeux et j’arrête ! »
Que-wah ? Nan mais t’es sérieux, sérieux ? Tu mènes 6/0, 3-2, tu es mille fois au-dessus et tu projettes d’arrêter ? C’est en substance ce que je lui demande au changement de côté, à la fois compatissant devant son âme en peine et heureux d’arriver enfin à proposer un semblant de match. Il se met alors à pleurer, pas au sens propre mais presque, sur le thème de : « je peux pas jouer le matin, j’ai dormi 2h, j’ai autre chose en tête que de jouer au tennis. » On dirait une conférence de presse de Philippe Saint-André après une défaite du XV de France (pléonasme). Moins respectueux pour son sport et pour son adversaire, je pense qu’on ne peut pas. On est dans les bas-fonds de l’attitude de merde à la française. Là-dessus, il reprend son précieux téléphone à la main et recommence à envoyer ostensiblement des textos, pour bien afficher qu’il est tellement au-dessus de tout ça…
A la limite de PTT un câble (téléphonique)…
Je ne sais qui est le destinataire de ses missives, mais la personne doit, au choix, bien se marrer ou bien déprimer. A moins qu’elle ne fasse acte de silence, attisant l’ire du « textoteur » qui ne se prive pas de la déverser sur moi. Et qui, à 4-3 en sa faveur, non seulement n’abandonne pas (comme c’est bizarre…), mais dépasse les bornes en prolongeant au-delà du raisonnable le changement de côté au seul besoin de finir son texto. Moi, je l’attends en fond de court, tranquillement campé sur ma ligne (téléphonique), mais je suis quand même un peu à la limite de PTT un câble (téléphonique). Pour tout dire, j’ai presque envie d’Apple le juge-arbitre pour savoir si tout ceci est bien règlementaire, où s’il n’y aurait pas là matière à le déclarer forfait (téléphonique). Ok, le Christian Clavier (téléphonique) qui me fait face a peut-être encore 3G d’alcool dans le sang et ressent sans doute le besoin de recharger sa batterie, mais ce n’est pas une raison pour rester aux abonnés absents quand l’arbitre (fictif) est censé avoir crié « time » depuis au moins 2 minutes. Surtout que bien sûr, quand il daigne enfin reprendre notre conversation tennistique, mon mental a quelque peu décroché. Le temps d’un jeu, je me mets à multiplier les çonneries. Mon revers est iPhone, je sens bien que ce coup (droit) ne tient plus qu’à un fil. « Ne coupe pas ! », ai-je envie de me crier à moi-même alors que je ne parviens plus à rien d’autre que de tire-bouchonner mon revers dans une sorte d’effet saucisson aussi inesthétique qu’inefficace. Si maman si, (carte) sim… aman si, maman si tu voyais mon vice (ouh là… vous l’avez, celle-là ? ) ! Je hurle ma rage, malheureusement, tous mes cris mes SMS… pardon, mes SOS resteront sans réponse. 5-3, 30-15. Je suis au bord de la coupure.
P… de badaud, p… de balle de 5-5,
p… de volée de revers, p… de cerveau
Bon, ça y est, j’ai fini mon délire téléphonique. Heureusement, je reprends un peu de réseau juste à temps pour revenir à 5-4. C’est là que tout va basculer, sur un nouveau « fait de jeu » qui va mettre en lumière mon mental défaillant. Un badaud décide de visionner la fin de notre match au moment précis où j’obtiens une balle de 5-5 qui l’aurait, j’en suis presque sûr, fait sortir pour de bon de ses gonds. Pas peu fier de l’occasion unique qui s’offre à moi de voir un témoin assister à ma résistance héroïque face à la star locale, je me précipite, dans un excès de zèle, à la volée où un miracle de l’existence m’expédie une balle enfantine, à mi-hauteur, tout près du filet.
Je n’ai plus qu’à claquer la balle pour marquer le point, le jeu et, qui sait, peut-être le set et le match. Mais il y a un mais (et même deux) : 1. La balle arrive sur mon revers ; 2. Elle arrive à une vitesse tellement lente que j’ai tout le temps de me monter un énorme blockbuster dans ma tête. Je me vois presque remporter ce match. Mon cerveau y détecte vraisemblablement une anomalie. Insidieusement, il m’instille l’ordre de rater. Et je m’exécute bien gentiment avec une volée/smash (on sait pas trop) de revers bien crapoteux qui s’écrase à 2 m du couloir. Le badaud est mort de rire (blaireau, va…). Mon adversaire, je le jurerait presque, esquisse un semblant de sourire. J’aurai bien une autre balle de 5-5, que je vais cette fois gâcher d’un tout petit coup droit dans le filet, avant de m’incliner sur un bel enchaînement amortie/passing de revers. Il m’est arrivé exactement la même chose qu’au gars que j’avais battu au 1er tour : c’est le cerveau qui a fini par décider que je ne « pouvais » pas gagner ce match. Je connais depuis longtemps le potentiel destructeur de cet organe programmé par des forces obscures qui nous gouvernent en secret. Je savais aussi que les joueurs de 3ème série étaient bien « gratinés ». Mais je pensais vraiment que les 2ème série (ou ex 2ème série) étaient bien au-dessus d’une telle tennismandemerdattitude ! Et encore, il m’a gardé le meilleur pour la fin : « Désolé pour cette piètre prestation« . Ah ok…
Je trouve (encore) votre texte hilarant. Merci merci merci.
Lors d’un tournoi près de chez moi, je me souviens d’avoir été ce type accroché à son portable en mai 1998… en ligne avec la rédaction de » Sans Aucun Doute » (j’étais une victime d’un pseudo producteur de cinéma). Je ne pouvais pas passer à côté de leur sollicitation. Mon adversaire a été cool.
Oui ? Quoi ? Le match ? Ben je l’ai gagné en lui mettant un 6.3 6.3 😉 Désolé… 😉
Oui mais peut-être avais-tu prévenu ton adversaire, ou alors tu avais fait ça discret ? Ce qui m’a dérangé c’est pas tellement le fait qu’il sorte son tel, ça je m’en fous, c’est plutôt qu’il le fasse ostensiblement, avec la condescendance qui allait avec…
Ton article est top encore une fois, bravo. C’est quoi ton objectif de classement a l’heure actuelle pour la fin de l’année ?
Pas vraiment d’objectif, sinon celui de m’amuser et essayer de progresser. Après c’est sûr je serais content si j’arrive à grappiller un ou deux classement. Rester 15/5 c’est presque déjà acquis, 15/4 c’est jouable et 15/3 ce serait cool, mais ça va être dur !
Ca me rappelle un ami, grand défenseur devant l’éternel qui avait démarré en fin d’après-midi un match contre bien mieux classé que lui.
Après avoir arraché le premier set au tie-break, l’adversaire de mon pote prend son téléphone au changement de côté, appelle sa femme sans aucune discrétion pour lui dire qu’il sera en retard au dîner vu qu’il va y avoir 3 sets.
Magique… L’irrespect des gens sur un court de tennis n’a aucune limite !
je vien de lire ton article , super merci pour l’article.
https://regimepourmaigrir.weebly.com/
Je me marre tout seul dans le TGV en lisant le billet. Ma voisine me jette des yeux inquiets de temps en temps. Encore bravo.
Patrick
Ps : Il me semble avoir remarqué au cours de mes lectures quelques petites allusions ironique à cette magnifique région que le monde nous envie, j’ai nommé la Franche Comté😀. Ma femme est Franc-Comtoise et appréciera sans doute modérément. Il me tarde de lui faire lire😃.
Je découvre et j adore ! encore !