L’art et la manière de perdre un match en se sentant parfaitement bien…




Salut à tous,

Bon ben voilà, le temps est venu de pondre l’article que je n’aurais jamais voulu écrire, mais dont je savais pertinemment qu’il le faudrait un jour. Je ne vais pas vous mentir, il m’est extrêmement pénible de me mettre à la tâche, beaucoup plus que d’habitude, mais par souci d’éthique, je n’ai pas le choix : après avoir chanté ici à la gloire de mes victoires triomphales (à 30/3, 302, etc… LOL), il fallait bien que vienne le moment d’écrire l’épitaphe de ma défaite.

Ma première défaite, donc, depuis mon come-back à la compétition entamé dans ce présent tournoi, après pratiquement dix ans d’abstinence.

Rappelez-vous, mon match de reprise avait été catastrophique. Puis, petit à petit, j’étais « monté en puissance » (ça fait classe ça, j’aime bien) pour passer finalement 5 tours et me retrouver en quart de finale de mon tournoi interne, avec notamment deux derniers matches particulièrement intéressants. Evidemment, je n’avais pas manqué de noter que 5 tours pour parvenir en quart de finale, c’est exactement le même parcours que les pros dans un tournoi du Grand Chelem. Je me suis donc furtivement vu dans la peau d’un Djoko ou d’un Federer, entamant à pas feutrés leurs parcours dans ces gros rendez-vous pour finalement dérouler leur meilleur tennis dans les derniers tours. Je me disais que j’allais faire exactement la même chose.

 

La petite différence étant qu’entre mon huitième de finale et mon quart, il s’est écoulé quasiment trois semaines. Oui, c’est un tournoi à rallonge, dans lequel on prend en compte les vacances, les déplacements pros et autres contre-temps des uns et des autres. Pratiquement trois semaines sans jouer beaucoup (je glisse furtivement une excuse à la manière d’un placement de produit) mais non sans m’entretenir physiquement. Au final, ce break m’a permis de suivre en long et en large l’Open d’Australie et même si j’en suis sorti un peu jet-lagué (autre placement d’excuse), j’en suis aussi sorti régénéré mentalement, débordant d’envie de jouer, à la manière de Rodge après son break de 6 mois.

 

Et samedi, donc, je dois l’avouer, j’étais parfaitement prêt à m’attaquer à une belle perf face à un adversaire classé 15/3 (je suis 30/1, pour mémoire), un niveau que je n’avais plus côtoyé depuis mon dernier ace, c’est-à-dire depuis belle lurette. Le tour d’avant, j’avais battu sans fioriture un 15/5 qui, paraît-il, valait plus, je n’avais donc pas de complexe à avoir surtout que, là, j’allais forcément monter mon niveau d’encore un cran. La veille, j’avais mangé des pâtes, bu mon litre de flotte, dormi mes 8 heures de sommeil… J’avais pas joué depuis six jours mais je « sentais» bien la balle intérieurement (très important). Honnêtement, les compteurs étaient au vert.

 

 

Je m’échauffe, sérieux comme un pape. Dès qu’il arrive, j’arrête…

 

 

J’arrive 10-15 minutes avant l’heure dite. Mon adversaire n’est pas là. Sérieux jusqu’au bout, j’entame des tours de terrain assortis d’exercices spécifiques type talon-fesses, montées de genou, brèves accélérations, etc. Georges Deniau serait fier de moi s’il me voyait. Mais je ne veux pas qu’on me voit. D’ailleurs, quand j’aperçois au loin, à travers la baie vitrée du court couvert, mon adversaire arriver, je m’arrête aussitôt et fais semblant d’attendre sans rien faire. Je ne veux pas avoir l’air trop pro. Car si derrière, j’en mets pas une, j’ai bien l’air con…

 

Autre bon point pour moi : mon adversaire est assez « vieux », facile 10-15 ans de plus que moi je dirais, et je rappelle que j’ai passé le cap des vétérans. On discute quelques minutes, il a l’air plutôt sympa et c’est bon signe aussi car je n’ai jamais su jouer contre des abrutis ou des tricheurs, j’arrive pas à trouver la motive.

 

On commence l’échauffement. La première balle arrive sur mon revers. Or, quand je joue au tennis, la première balle que je tape avec mon revers, c’est toujours une sorte de Kinder surprise : on ne sait jamais trop ce qui va sortir. Souvent, c’est une bâche ridicule, le poignet tremblotant, et il me faut quelques minutes pour que ça vienne. Là, la balle repart direct, fluide, zéro parasite. J’arbore un petit sourire en coin. Aujourd’hui, ça sent la perf’, me dis-je…

 

En face, le mec a l’air de jouer pas mal mais honnêtement, vu comment je me sens bien, je ne le crains pas. C’est pas pour me la jouer mais quand je sens suffisamment bien la balle des deux côtés pour ne pas faire de faute, je suis assez injouable jusqu’à un certain niveau (disons 15/4, 15/3) puisque je cours partout et qu’il est quasiment impossible de me déborder du fond pour des joueurs de ce niveau qui n’ont généralement pas la force de frappe suffisante. Donc, là, comme le mec est 15/3, ça doit passer ! Bien sûr, il y a la petite appréhension d’avant match obligatoire mais globalement, j’ai hâte d’en découdre. Puisque mes matches précédents se sont bien passés, sur le même terrain, il n’y a pas de raison pour que ça ne soit pas le cas aujourd’hui.

 

Perdre un jeu en menant 0-40, OK. Mais deux…

 

Il attaque le match au service. Le premier point est énorme, il sert et prend tout de suite l’ascendant avec son coup droit. J’enclenche immédiatement le mode « Murray » et me mets à faire l’essuie-glace à gauche, à droite, histoire de lui faire comprendre d’entrée que ce sera très compliqué pour lui de faire un point. Normalement, quand je renvoie ainsi 3 ou 4 accélérations d’affilée, l’adversaire finit toujours par faire la faute. C’est quasiment mathématique en 3ème série. Mais là, mon adversaire finit par conclure par un coup droit gagnant. J’applaudis « sportivement », encore tout à fait confiant pour la suite. Un coup de chance, me dis-je. Il ne tiendra pas la distance. Cinq minutes plus tard, il mène 2-0.

 

Bon, je ne vais pas m’affoler pour si peu et encore moins remettre en cause toutes les bonnes résolutions mentales que j’ai prises pour ce retour à la compétition. Je reste calme comme un pape et repart au combat en serrant le jeu encore plus. Je reviens à 2-1, 0-40, trois balles de débreak. Normalement, avouons-nous les choses, le service n’a aucune importance à notre niveau mais face à lui, j’ai l’impression quand même que c’est un peu plus important que d’habitude, car le bougre d’1,90 m sert très bien en variant parfaitement les trajectoires et les effets. D’ailleurs, là, il enchaîne deux service gagnants. Finalement, il m’arrive l’une des choses les plus agaçantes au tennis : je perds un jeu après avoir mené 0-40. Je ne m’énerve pas car, justement, j’ai lu très récemment, sur je ne sais plus quel site, que ce n’est pas parce que vous menez 0-40 que le jeu est votre propriété. Pas faux. Mais quand ça vous arrive deux fois dans le même set, vous faites quoi pour rester zen ? Parce que oui, c’est précisément ce qui m’arrive. Déjà, je me suis retrouvé mené 4-1 en laissant encore échapper une balle de 3-2. Puis, alors que j’étais revenu à 4-2, 0-40, j’ai encore laissé filer ce jeu quasiment torché pour moi ! Je laisse échapper un premier cri de frustration. Finalement, je perds ce 1er set 6/3 en ayant le sentiment d’avoir pu le remporter sur le score inverse. Mais comment tout ça est-ce arrivé ?

 

Allez, on oublie. Au changement de côté, j’enfouis ma tête sous la serviette pour apaiser la tempête sous le crâne qui commence à poindre. J’ai vu tellement de pros faire ça que ça doit forcément marcher. D’ailleurs, ça marche. J’attaque bien le 2è set et fais enfin la course en tête : 1-0. Youpi ! Puis 1-1. Derrière, on dispute à nouveau un jeu très serré. Sur un passing de coup droit en bout de course avec trajectoire en « banane », façon Rafa, avec fin de geste en lasso au-dessus de la tête, je m’offre une balle de 2-1 et je ne peux m’empêcher, comme ça m’arrive parfois, de lâcher un putain de « vamos » retentissant ! Derrière, j’expédie un chop mollasson dans le baduf. En tout, j’ai trois balles de 2-1 dans ce jeu mais une nouvelle fois, je le lâche.

 

C’est incroyable ce qui m’arrive. Dans l’ensemble, je joue bien, je tape bien, tous les jeux sont accrochés mais dès qu’on arrive dans les moments cruciaux, je me tends et je fais la faute, à l’inverse de mon adversaire qui lui serre parfaitement le jeu dans ces moments-là. Il lui arrive de faire des fautes grossières mais toujours en début de jeu, jamais à la fin. Par ailleurs, j’ai un problème d’ordre « tactique ». Je vois bien que mon adversaire a un gros service et un gros coup droit, mais qu’il est un peu plus friable en revers. J’ai le sentiment qu’il faudrait que je l’agresse de ce côté-là, mais je n’y arrive pas. Mon coup droit part bien quand je le frappe en contre mais quand j’essaie moi-même de l’accélérer, la plupart du temps, il sort. Quant au filet, où je ne me débrouille pas si mal dans mes bons jours, je m’y suis aventuré à plusieurs reprises mais pour un taux de réussite ridiculement faible, en ratant notamment 3 ou 4 volées assez faciles. Du coup, maintenant, j’ai peur d’aller sur ce terrain. Je reste donc dans ma zone de confort qui est celle de la contre-attaque. Ayant planté ma tente 2 mètres derrière la ligne de fond, je le laisse venir mais ce n’est pas une bonne solution non plus car son jeu d’attaque à lui est particulièrement performant, bien plus que le niveau moyen des joueurs que j’ai l’habitude d’affronter. Je résume : si je fais le jeu, je fais la faute ; si je le laisse faire le jeu, je suis régulièrement pris à défaut. C’est pire qu’un rubikub, mon truc !

 

Je chasse un moineau, puis j’enclenche le mode animal

 

Sur ces entrefaites, il prend de plus en plus confiance et se montre même assez injouable par moments. Je me retrouve mené 5-1, sans vraiment lâcher mais en montrant de plus en plus des signes de frustration. J’ai hurlé ma rage à deux ou trois reprises et je crois même qu’à un moment, j’ai fait peur à un moineau qui logeait dans un néon de la salle et que j’ai vu s’envoler au moment où j’attaquais mon second service. Ce con-là m’a fait faire une double. Pire, même : j’ai lâché ma raquette à deux reprises, pas très violemment certes, mais suffisamment pour me sentir un peu honteux sachant que je pensais bien qu’on ne m’y reprendrait plus. Mais c’est le tennis…

 

Mais je suis encore décidé à ne pas lui laisser la victoire comme ça. C’est précisément ce que je me dis alors que les affres de la défaite me font les gros yeux. Je suis mené 6/3, 5-1 par un mec visiblement meilleur que moi mais comme un gland, j’y crois encore. A cet instant précis, je décide d’enclencher le mode « survival ». C’est-à-dire : à partir de maintenant, vu comment je suis dos au mur, je dois absolument chasser toute pensée ou toute émotion de mon esprit, chasser aussi toute notion de score, et jouer en pilote automatique : tout donner, sans penser à rien. Pour m’y aider, je me répète un mot clé dans la tête. Ce mot, c’est « animal ». Je suis un animal, un prédateur, je prends d’ailleurs un regard de circonstance, à la fois profond et concentré, la pupille bien dilatée mais vide de toute étincelle.

 

Et ma foi, ça marche un peu, pendant quelques minutes. J’aligne quelques points superbes pour revenir à 5-2, 0-30 sur un improbable passing de revers slicé glissé côté fermé. Je lis une certaine incrédulité sur le visage de mon adversaire. Mais j’ai peut-être le tort, à ce moment-là, de sortir de mon « killer instinct » pour quelques secondes d’auto-satisfaction. Derrière, une fois encore, le mec sert particulièrement bien quand il le faut. Je perds les trois points suivants. 40-30, balle de match. J’y crois toujours. Depuis le début, j’ai le sentiment que c’est mon jour, et qu’il ne peut pas en être autrement. J’y crois ferme… jusqu’à cet ultime passing de coup droit qui s’arrête dans la bande du filet. Game, set and match, 6/3, 6/2. Pas photo.

 

Adieu mes rêves de perf, adieu mes rêves de montée directe à 15/3 dès le premier classement intermédiaire de l’année, adieu mes rêves de retour triomphal, adieu mes rêves de montée en puissance, adieu mes rêves de finale où j’aurais pu me la péter devant tout le club et peut-être même faire venir ma famille pour m’encourager. Non seulement j’ai perdu mais j’ai pris une branlée, en prime… Sans doute me manquait-il un petit quelque chose, peut-être qu’inconsciemment je n’étais pas prêt à battre un joueur de ce niveau, qui me rassure d’ailleurs en me parlant de son passé de gloire, lorsqu’il était classé 15/1 et perfait jusqu’à 3/6. Tout ça fait que je ne suis pas complètement abattu. Mais quand même : perdre quand on se sent vraiment bien, n’est-ce pas avoir un peu la lose au fond de soi ? Vous avez 3 heures…

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