Le match qui m’a fait me sentir vieux pour la première fois

 

Niveau de compétition : 3è tour
Classement adverse : 15/2
Surface : Sorte de bac à sable
Sensations : Excellentes (c’est ça le pire…)
Magnitude d’énervement sur l’échelle de Benoît Paire : 8

 

Jouer des jeunes et les faire fissurer, normalement, c’est ma spécialité (à relire ici). Mais parfois, ça se ne passe tout à fait comme prévu, à l’instar de mon dernier match où c’est moi qui ai fini par me sentir comme un vieux con…

 

Cher TDM !

Comme tu l’as compris, je suis dans une « mood » un peu nostalgique aujourd’hui. Depuis quelques jours, depuis mon dernier match en fait, j’arrête pas de ressasser cette question : et si, ça y est, j’étais vieux ?

Bon, tennistiquement, je sais bien que je suis pas de la première fraîcheur, hein… J’étais devant la télé la dernière fois qu’un Français a été en finale à Roland Garros, en l’occurrence Henri Leconte en 1988 (même si je me souviens être allé jouer dans la rue avec mes voisins après le 1er set). J’ai assisté en « live » à un match de ce même Leconte contre Andreï Chesnokov lors de ma première venue à Roland-Garros en 1990. J’ai porté des survêts fluos en peau de pêche avec des fermetures éclairs à chaque cheville, que je faisais négligemment remonter sur mes Reebok Pump. Je les ai parfois assortis avec les polos Nike à rayure d’Agassi. J’ai joué avec des Pro Kennex avec du sable dedans. J’ai lu Tennis de France. J’ai vu jouer Brad Gilbert à Bercy. J’ai appris à jouer avec des balles Nassau sans pression. En coup droit et au smash, mon prof me faisait pointer la balle du doigt comme si j’étais sûr avec ça de bien la centrer. Je lui ai fait péter un câble en adoptant la prise Berasategui alors qu’il s’évertuait à m’enseigner la prise Tauziat. J’ai vu gagner des Suédois. J’ai vu Boris Becker sobre. Et Agassi avec des cheveux. J’ai vénéré les jambes de Steffi Graf. J’ai connu le tennis sur gazon (je veux dire, du vrai gazon).  J’ai imité le revers sauté à deux mains de Rios, sans jamais le réussir. A défaut, je jouais comme lui avec la casquette à l’envers, persuadé qu’au moins comme ça, j’étais beau gosse. Bref, niveau balle jaune, on peut dire que j’ai un côté un peu vintage. Mais jamais je n’ai pensé être has-been. Du moins, jusque-là…

 

 

Et puis, c’est arrivé. Ce putain de match, que je sentais pourtant bien, au demeurant. Mon entrée en matière avait été à marquer d’une pierre blanche puisque, pour la première fois, j’avais réussi, en match, à mettre des revers liftés à une main dans le court, une sorte d’accouchement symbolique, neuf mois après avoir adopté ce revers à une main. A tout le moins, un petit déclic plein de promesses, obtenu au prix d’un massacre des murs de ma chambre. Et confirmé ensuite par des sensations très correctes à l’entraînement.

Bref, ce match, je le sentais plutôt bien. Pourtant, c’était un match en perf. Mon adversaire supposé du tour précédent m’avait gratifié d’un sommet de tennismandemerdattitude en déclarant forfait après 10 jours de palabre (je sais pas si tu connais le Trophée Chatrier, on doit s’arranger pour fixer une date dans un laps de temps donné avec son adversaire, ce qui débouche généralement sur des discussions sans fin qui te font regretter la rigidité cadavérique des juges-arbitres des tournois parisiens) durant lesquels il m’avait successivement gratifié d’un déplacement professionnel, d’une grippe d’un de ses mômes puis d’un bobo au genou avant finalement de renoncer, au prétexte très grandiloquent que « mon corps n’est pas apte à jouer au tennis en ce moment. » Bon, du coup, adieu le tour de compression à mon classement. Et bonjour le match en perf direct, donc.

 

Miss, regarder comment faire fissurer ton cheum…

 

Mais qu’à cela ne tienne. Le jour du match, les sensations sont bonnes, pour ne pas dire excellentes. La surface installée dans la salle quasiment neuve où nous évoluons, chez mon adversaire, est d’excellente qualité elle aussi, et je ne manque pas de lui en faire le compliment. Mon adversaire ? Un petit jeune d’une vingtaine d’années venu avec sa copine pour l’encourager. Oh, c’est-y pas mignon, ça ? Je trouve ça touchant. D’abord parce que je pense que le jour où ma femme à moi se déplacera pour voir un de mes matches de tennis, Michel Drucker ne fera plus de télé, autant dire que ce jour n’arrivera jamais. Ensuite parce que le fait d’avoir un « public », fût-il constitué d’une seule personne, eh ben c’est cool. On plaint toujours ces pauvres champions quand ils doivent attaquer un match devant un public « clairsemé », avec des loges abandonnées par ces méchants VIP qui préféreront toujours se délecter d’un toast que d’assister à un toss. Mais on en parle, des conditions dans lesquelles on doit jouer, nous ? On leur explique, ce que c’est qu’un public « clairsemé » ? Ils savent ce que c’est, la solitude du tennisman de merde obligé parfois de parler à une vache au bord d’un court en rase campagne pour canaliser son angoisse ? Bref, la Miss est là et je trouve ça bien. Je vais me faire un plaisir à faire fissurer son cheum.

L’entame du match plaide pour moi. Le premier jeu dure des plombes et finit par tourner en ma faveur après avoir sauvé 6 ou 7 balles de break. Derrière, je confirme ce « break » et me détache 2-0 en lâchant mon revers sans aucun complexe ni retenue. En face, c’est une caricature. Le petit jeune a un jeu très brillant mais a déjà pris deux ou trois fois la bâche du fond en forçant son coup droit.  Hmm, me dis-je intérieurement en me frisant mes moustaches imaginaires. Ça sent la perf’ aujourd’hui.

 

 

A peine ai-je eu le temps de me dire ça qu’un événement non prévu au programme vient bafouer le cours des choses. Là où j’avais mis environ une demi-heure pour m’offrir ce maigre pécule d’avance, le petit c…, pardon, le petit jeune revient à 2-2 en « deux-deux ». D’un coup, il s’est mis à arrêter les fautes stupides pour se mettre à pratiquer un tennis plus construit et plus varié qui, disons-le, me casse un peu les couilles. Mouais. A ce stade, je penche encore pour un simple bug dans le logiciel. Je vais faire une mise à jour et tout rentrera dans l’ordre.

Je resserre donc la vis et nous voilà engagés, quelques jeux durant, dans un mano-à-mano qui rappellerait presque le fameux épaule contre épaule de Poulidor et Anquetil dans l’ascension du Puy de Dôme en 1964 (non, je n’étais pas né, merci de ne pas me vieillir plus que de raison…). Et devinez qui va finir par jouer le rôle de Poupou ? C’est bibi, bien sûr ! Durant ces quelques jeux, pourtant, le niveau de jeu est réellement – et relativement – , très bon, très intense. Le tournant se situe probablement à 3-3, jeu dans lequel je me détache 40-15. Sur cette première balle de 4-3, dans un excès de confiance confinant au suicide, je tente un revers ultra-court croisé à la Richard qui finit en bois à la Pioline, manquant d’ailleurs d’éborgner mon adversaire au passage. J’en souris et m’en excuse platement, avec le fair-play qui caractérise les joueurs sereins. Derrière, je fais une double. Une double qui divise par deux mon taux de sérénité. Je finis par perdre ce jeu sur… une nouvelle double faute.

 

A ton avis, c’est qui Poupou ?

 

La logique aurait voulu que je fracasse à minima une balle contre le mur à ce moment-là. Mais même pas. Je vais m’asseoir chevaleresquement sur le banc. D’abord parce que je ne veux pas passer pour un goujat auprès d’une charmante jeune fille. Laquelle, cela dit, n’a pas descotché les yeux de son iPhone depuis le début du match, se souciant visiblement de l’évolution de celui-ci autant que moi de l’évolution des actions Leroy Merlin sur le marché sud-américain. Mais aussi parce que, tout bonnement, je me fais plutôt plaisir dans ce match. Et ça me suffit.

Je réalise que j’ai, à ce moment-là, un petit souci. D’habitude, je sens tellement peu la balle que je suis obligé d’avoir la gnaque pour tenter d’exister dans un match de tennis. Là, les sensations sont bonnes et tout le reste a disparu. J’ai envie de jouer d’abord pour me faire plaisir, pas pour gagner. En temps normal, c’est l’inverse. Bon, il faudra que je me penche plus tard sur ce problème puisque Bambi vient de me breaker et se détache 5-3. Ah oui, tu veux la jouer comme ça ? Je réplique d’un jeu de service autoritaire que je remporte blanc sur un ace extérieur, une étrangeté tennistique d’ordinaire plus rare, chez moi, que la présence d’un tigre du Bengale dans les rues de Paname. Je me pavane, comme il est d’usage en pareille circonstance. (lire ici). Allez, c’est reparti, me dis-je.

Au jeu suivant, je me secoue pour retrouver un peu de rage de vaincre et décide de lui mettre une pression maximale, pour voir ce qu’il a dans le pantalon. Je décide de lui concocter ma recette spéciale, à base de ahanements prononcés en coup droit et de chops de revers bien visqueux. Un mix entre le tennis à l’espagnole des années 80 et le tennis à la française des années 60. Normalement, aucun puceau de son espèce ne saurait y survivre, surtout dans un jeu aussi important, et surtout en étant mené 15-30 dans ledit jeu. Mais, pour une raison que j’ignore encore à l’heure d’écrire ces lignes, c’est le moment que choisit cet enfant de bâtard pour aligner trois points rondement menés (deux accélérations de coup droit et un smash) et aller chercher son set sans que j’ai pu esquisser le moindre geste pour ma défense. Je dois avouer quand même que je suis épaté par sa manière d’avoir tenu le choc dans un moment aussi tendu. Il est si jeune que ça, ce prépubère ? Je checkerai ça après la partie (22 ans). En attendant, le voilà qui rejoint son banc en roulant des mécaniques, sous les applaudissements rompus de sa bien-aimée qui a enfin daigné lever les yeux de sa partie de Candy Crush pour assister à ma mise à mort dans ce 1er set. Grognasse, va.

 

Soudain, une sorte de tsunami s’abat sur moi

 

Au changement de côté, je suis assailli par une pensée négative. Je ne me sens franchement pas l’envie et l’énergie pour lutter encore comme ça pendant deux heures, ce qui sera le tarif minimal si je veux gagner ce match. Pour autant, je ne me vois pas lâcher non plus et je reste optimiste sur mes chances de le faire chier pendant encore un petit moment.

Je me lève d’un pas décidé en me tapotant les cuisses, genre « allez, c’est maintenant ! ». Cinq minutes plus tard à peine, me voilà de retour sur ce même banc, la queue entre les jambes, l’air misérable. 3-0 contre moi. Ce qui s’est passé ? J’en sais rien. Une sorte de tsunami que je n’ai pas vu venir. L’ado pustuleux s’est mis à jouer un tennis de mutant alors que moi, je suis de moins en moins capable de me motiver pour accrocher le score. Je continue de bien sentir la balle, pourtant, mais je ne frappe qu’une succession de coups sans queue ni tête, sans projet, sans idée. Et invariablement, ça finit mal.

Plus ça va, plus la tendance s’accélère ainsi, de son côté comme du mien. Le score évolue au diapason de mon humeur qui devient franchement massacrante.  Plus je perds le contrôle de la balle, plus je perds le contrôle de moi-même. A un moment donné, sur une accélération de coup droit aussi propre que les urinoirs d’un bar à bière à 4h du mat’, j’explose littéralement et expédie une balle qui manque tout juste de décapiter la donzelle sur le banc. Mais qu’elle m’énerve aussi, celle-là, avec ses airs de Wag énamourée ! Et en plus, elle est moche, me dis-je avec une insolence qui frôle l’irrespect (même si je n’ai pas totalement tort sur ce coup-là…).

Si au moins ce coup de gueule pouvait m’extirper de ma torpeur. Mais même pas. L’engrenage est lancé contre moi et je n’arrive absolument pas à l’arrêter. D’irritable, je finis par devenir complètement irascible. Et, pour tout dire, par avoir un comportement presque « limite » à l’égard de mon adversaire. Par exemple, cela fait 3 ou 4 fois qu’il me surprend par des coups très plats et courts qui rebondissent à peine dans le carré. Au lieu de fustiger ma position trop éloignée de la ligne de fond, je m’énerve contre cette surface de merde qui ne rebondit pas, cette même surface dont j’avais loué la qualité à l’échauffement. A un moment donné, alors que le score est désormais sans appel, le blanc-bec a l’impudence de m’enfoncer la tête sous l’eau avec un let absolument parfait. Je hurle un « la chaaattte » aussi basique que sonore, tout en me tournant ostensiblement vers sa Dulcinée et il me faut alors déployer des trésors de diplomatie envers moi-même pour que je ne lui hurle pas à ce moment-là : « T’étais où, toi, hier soir ??? »


La meuf de mon adversaire pendant le 2eme set…

 

Bref, mon comportement devient lamentable et il est temps que le match se termine. Ce qui sera vite fait, sur une « bulle » encaissée en à peine 15 minutes qui ne reflète absolument pas l’âpreté du 1er set, ni le niveau que j’avais au début du match. Je retrouve un peu mes esprits à la poignée de main, lors de laquelle je félicite chaleureusement mon adversaire. Je m’attends à ce que celui-ci vienne ensuite me parler un peu, peut-être même osera-t-il me tutoyer alors qu’il n’a fait que me donner du « vous » depuis le début. Que nenni. Il n’aura même pas un seul mot pour moi, pas même un regard compatissant. Il se contentera de rouler une longue galoche à sa te-pu, batifolera de longues minutes avec elle tout en me laissant tenir la chandelle et ranger mes affaires en silence, à la fois piteux et K. O. Ah, si, il aura alors un dernier mot pour moi :

– « Pour sortir du club, passez par le portail de derrière. Allez, bonne journée ! »

Humilié jusqu’au bout par ce petit blanc-bec de mes couilles. Je me dis quand même qu’il est loin le temps où l’on allait se faire une bonne mousse avec son adversaire après les matches. Je me dis surtout qu’il est loin le temps où c’est moi qui faisait systématiquement fissurer les jeunes. C’est à ce moment-là, je crois, que m’est venu l’idée du titre de cet article…

 

Résultat : Défaite 6/4, 6/0

 

2 thoughts on “Le match qui m’a fait me sentir vieux pour la première fois

  1. J’adore le parallèle entre la dégradation progressive de ton comportement et l’évolution négative du score. C’est tellement ce qui se passe dans 95% de matchs en 3ème série.
    (Mais cet enfoiré aurait quand même pu t’offrir une bière à défaut de t’offrir le match.)

  2. Je me régale de vos récits. En Belgique, on offre le verre à son adversaire perdant. C’est d’ailleurs cocasse quand vous tombez contre des mômes de 17 ans (papa tu me donnes 5 euros pour que j’offre sa bière au vieux croûton)

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