Vous connaissez, cet adversaire trop « friendly » ?

Salut les tennismen de merde !

Je suis sûr que, à l’instar du monde entier, vous étiez impatients de suivre la suite de mon tournoi quelques jours après avoir fait mon grand come-back à la compétition (lire par ailleurs dans ce blog). Je pense d’ailleurs qu’il n’y a que ça qui vous intéresse en ce moment dans une actualité tennistique proche du désert de Gobi. Le retour de Roger à la compétition ? Nadal qui prend Moya dans son staff ? On s’en branle. Seul compte notre petit tennis de merde que nous traînons dans des tournois de merde face à des adversaires de merde. C’est ça, le vrai tennis.

Pour rappel, pour mon premier match dans le tournoi interne de mon club face à un petit jeune classé 30/3 (mais attention, hein, classé 30/1 à son « best » – je suis sûr que vous êtes comme moi, vous précisez toujours le meilleur classement quand on vous demande votre niveau ou le niveau de l’adversaire que vous devez affronter), s’était soldé par une victoire sans panache – euphémisme -, le bras gangréné par le stress et l’émotion. Pour ce 2è match, je passe à l’échelon au-dessus. Un 30/3 toujours, jamais mieux classé que 30/2, mais qui, d’après mes partenaires de club, possède un niveau réel plus proche du début de 3è série. Je « checke » en effet son palmarès sur le site de la FFT, où l’on peut désormais voir le score des matches, et je vois quelques défaites serrées face à des 15/4. Stress. J’ai l’impression d’être face à un monstre. Heureusement, cette fois, il est bien plus âgé que moi, au moins je passerai pas pour le vieux schnock de service qui n’a rien d’autre à foutre que d’aller taper la ba-balle plutôt que d’aller se cultiver dans des expos. Sauf que moi, taper dans la ba-balle, je crois que c’est quand même ce que je préfère au monde ! Mais bon, c’est hors sujet…

 

En tout cas, j’ai la pression, donc. Pour relâcher tout ça, la veille de mon match, je me suis jeté sur du rhum arrangé lors d’un apéro avec des potes. Et je vous garantis qu’au 2 ou 3è rhum, j’étais bien, bien, bien ! J’avais le sentiment que si j’avais dû prendre ma raquette à ce moment-là, j’aurais pu battre n’importe qui tellement, j’étais détendu, en confiance. Au 6è rhum, j’étais beaucoup moins bien. Hors-sujet, complètement crevé, limite nauséeux. Putain, c’est là aussi qu’on voit que physiquement, je n’ai plus la même caisse qu’à mes 20 ans…

 

 

Dès l’échauffement, mon adversaire m’encense. C’est louche…

 

Le lendemain, jour du match, je me réveille dans un état proche de celui d’une tortue asthmatique sous prozac.  J’ai du mal à décoller, je suis barbouillé, vraiment pas au taquet. Avec un avantage non négligeable néanmoins : je ne ressens aucun stress. Le souci de me refaire une santé physique préoccupe totalement mon esprit. Je me dis qu’à tout prendre, c’est mieux. Pour bien jouer, mieux vaut largement une gueule de bois à des jambes de bois.

 

Je continue de me méfier beaucoup de mon adversaire et pas seulement en raison de son niveau de jeu (supposé) federesque que de la première impression qu’il m’a laissée. Au gré de nos échanges de textos préalables à ce match,

il m’a paru… extrêmement sympa, mais presque trop. Il m’a même laissé le choix du terrain pour le match. J’ai pris le rapide, simplement parce que j’y ai plus mes repères. Ayant un peu de temps libre avant le match, j’étais bien décidé à m’échauffer sérieusement et même à aller faire un petit footing, histoire de me détendre. Rien de tout ça. En fait, je suis une merde et j’opte pour la sieste. J’ai pas de bonne vibes et j’ai limite pas envie de jouer. Pour être franc, j’hésite même à suivre le conseil de cet internaute qui m’a parlé de son prof de tennis qui prenait un quart de Lexomil avant chaque match. Finalement, je me dis que c’est pas une bonne idée. A ce stade, je vous épargnerai la morale bien-pensante sur la consonance dopante de ce geste. Je ne sais pas si le Lexomil fait partie des produits interdits mais je crois qu’on est nombreux à avoir, parfois, des attitudes « limites » là-dessus. Il est beaucoup plus facile de taper sur les grands champions dopés que de regarder en face son propre comportement. Moi-même, il m’est arrivé de prendre du Guronzan avant un match. Alors certes, on est loin d’un dopage organisé et d’un produit « lourd » type EPO ou hormones de croissance, mais dans la démarche, n’est-ce pas un premier pas vers le dopage ? Prendre un « truc », même léger, peut-être même pas interdit, destiné à améliorer sa médiocre performance d’un jour… Tout cela pour dire que la frontière entre dopage et non-dopage et, pour moi, extrêmement ténue.

Bon, bref. Je ne sais pas si mon adversaire du jour est dopé mais ce qui est sûr, et ce qui se confirme, c’est qu’il est extrêmement sympa. Dès la poignée de mains, il m’encense. « Ah, j’ai entendu parler de toi, il paraît que t’as été classé 15/2, que tu vas me mettre une leçon, etc, etc. » Euh, la vérité, c’est que moi, dans ma tête, je me sens pas spécialement « favori » vu la petitesse de ma prestation de l’autre jour. En fait, j’ai plutôt l’impression qu’il me sort le bon vieux truc du « je te colle l’étiquette de favori », un truc que j’ai jamais compris, que j’ai jamais fait personnellement, mais qui paraît-il est très courant dans le tennis et qui marche pas mal.

Je réponds à peine, je rentre dans ma bulle et m’installe sur un des deux bancs. Et là, le mec me fait un truc inattendu : il s’installe à côté de moi, me tape la discu en continu, me propose même des bananes et des gâteaux de sa confection – j’ai failli lui proposer un peu de rhum arrangé de ma composition, mais je me suis retenu. Il me sors une phrase qui me tue : « ce qui est sympa avec ce tournoi interne, c’est qu’on fait des matches entre nous, y’a zéro pression, on se fout du résultat, on joue pour le plaisir ! De toutes façon, je sais que je vais prendre 2 et 2. » Sait-il qu’à cet instant, j’ai la pression qui monte grave, je n’ai qu’une envie c’est de lui en mettre une bonne ! Enfin, j’ai surtout envie de lui mettre une Dunlop dans la gueule, histoire qu’il la ferme un peu (sa gueule).

Mais je n’en fais rien évidemment, et le sketch se poursuit. Après 2-3 minutes d’échauffement, le mec continue sa guimauve. « Putain, tu joues trop bien, ça va être dur ! » Bon, c’est vrai que sans prétention, et à ma grande surprise, je sens bien la balle. Mais fort de l’expérience de la dernière fois, je sais qu’une fois le premier point disputé, ces bonnes sensations peuvent disparaître en une fraction de seconde, sous le poids de l’émotion. On s’échauffe au service. Pour l’impressionner, je varie les effets et monte peu à peu en cadence. Genre Milos Raonic. A un moment donné, j’en sors une qui claque bien, il ne la renvoie pas. Et il me sort un tonitruant « bien servi ! », alors qu’on est toujours à l’échauffement ! Je ne peux m’empêcher de repenser, en souriant, à cet article du cinéaste Jean-Loup Dabadie, paru un jour dans un Tennis Magazine de mon enfance, il y a sans doute près d’un quart de siècle. Dans cet article, il expliquait que son truc à lui de joueur amateur, c’était de féliciter exagérément son adversaire à l’échauffement, histoire de le mettre un peu trop en confiance. Je me dis que décidément, les vieilles ficelles sont éternelles. Mais les louanges, comme les promesses, n’engagent que ceux qui les écoutent. Je ne tomberai pas dans le piège.

Mon service ressemble à un girafon mal dégrossi qui bouffe ses premières feuilles…

 

Le match commence et je dois dire que, émotionnellement parlant, c’est beaucoup mieux que la dernière fois. Le fait d’avoir un match – et a fortiori une victoire – dans les pattes, sur le même court, avec les mêmes repères, m’aide sans doute beaucoup. Le bras tremble moins. Bon, il tremble quand même un peu et produit quelques fautes bêtes mais je note une amélioration sensible. En plus, je ne sais pas si c’est l’écri

ture de ce blog ou quoi qui m’y aide, mais je me trouve pas mal niveau attitude. Disons, plus indulgent sur chacune de mes erreurs. Au lieu de me sentir comme une grosse merde à chacune de mes doubles fautes ou de mes accélérations de coup droit en orbite, je me dis que c’est simplement l’émotion, pas la nullité. C’est ainsi que je reste calme alors que je gâche 5 balles de 2-0 dans le 1er set pour me retrouver à 1-1. Il faut dire qu’en face, mon adversaire m’aide aussi beaucoup a rester cool. D’abord, son jeu franc et direct favorise les bonnes sensations. Ensuite, même s’il joue en effet plutôt bien, il se montre étonnamment très généreux dès que le score devient serré, comme s’il avait décidé qu’il ne pouvait pas gagner. C’est d’ailleurs ce qu’il me dit, sur le banc, alors que je mène 4-3 au 1er set. Les jeux et les échanges sont serrés, je n’en mène pas large et pourtant, l’autre continue ses louanges. « T’es super complet, tu renvoies tout, tu volleyes mieux que moi, ça va pas durer cette histoire… » Jusque-là, par obligation, je me l’étais joué super « friendly » moi aussi. Mais là, je craque un peu quand même. Je lui dis, un peu vertement : « mais arrête, tu vois bien que c’est super serré, on a à peu près le même niveau ! »  Il ronchonne et me dit que j’ai tort. D’ailleurs, comme pour me prouver qu’il a raison, il m’offre les deux jeux suivants et le 1er set (6/3). Le mec joue bien mais niveau mental, je crois qu’on peut dire qu’on tient là un superbe tennismen de merde.

A la pause de fin de set, il lâche tout ce qu’il a sur le cœur : « Bon eh bien, c’est plié, physiquement tu es dix fois meilleur que moi, je peux plus revenir ! » Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Ce que je sais, ou ce que je sens, c’est qu’il essaie sans doute d’endormir ma vigilance pour mieux attaquer plein pot au 2è set. Une fois de plus, je suis décidé à ne pas tomber dans le piège et je me décide à attaquer ce 2è set au taquet. En plus, là, je sens vraiment pas mal la balle. Bon, je n’ai toujours pas réussi à lâcher un seul revers à deux mains – que du slice « coupe jambon » – mais j’ai trouvé un bon truc au coup droit et au service. Je visualise le geste de Nadal. Ah oui, je sais pas si vous faites ça aussi, mais moi mon truc, souvent, c’est d’imaginer dans ma tête que je reproduis un geste de champion. Concentré dans mon imitation purement imaginaire – en réalité, mon coup droit ressemble à un crapaud sur une boîte d’allumettes et mon service à un girafon mal dégrossi qui tente de bouffer ses premières feuilles -, j’en oublie le stress de la frappe et parfois, ça marche. Là, ça marche. J’envoie du bois et je me détache 3-0. Mon adversaire me dresse des concerts de lauriers. Quand il parle de mon jeu, j’ai l’impression qu’il parle de Roger. Mais bon, je sens la victoire se dessiner, je suis un peu plus détendu et je recommence à plaisanter avec lui aux changements de côté, contrastant avec mon visage fermé des jeux précédents.

 

C’est alors qu’apparaît, dans le court couvert où nous évoluions jusque-là dans une paix royale, une sorte de grand dadais qui semble être un pote de mon adversaire. Ce qui se confirme très vite. Le mec applaudit  ses points, l’encourage bruyamment, le conseille entre deux échanges et se permet même – ça, c’est le summum de l’énervement au tennis – de donner son avis sur certaines balles litigieuses. Clairement, le mec me saoule. Surtout qu’à son arrivée, mon adversaire ré-hausse d’un cran certain son

niveau de jeu. Il enchaîne de très beaux points, je dois le dire. J’ai encore de la marge mais je sens le danger. A 3-1, 30-0 je tente un service/volée mais son bon retour dans les pieds m’oblige à improviser une sorte de demi-volée de revers qui monte très haut dans le ciel dans une trajectoire hasardeuse et incertaine, genre ballon d’hélium. S’il avait vu ça, Stefan Edberg se serait sans doute fait hara-kiri avec sa Pro Staff. Mais bon, la balle tombe près de la ligne, très limite, et le mec, surpris, envoie son passing dans la pancarte – bien connue – de la charcuterie Morin. Je lui avoue, fair-play, que ma bouse était peut-être faute, et qu’on peut remettre deux balles, s’il le veut. A ce moment-là, le grand dadais, qui est situé à plus de 15 m de l’action (mais qui a peut-être un système Hawk Eye intégré dans ses lunettes), croit judicieux d’intervenir pour dire que la balle est à son avis faute. Mais mon adversaire, qui semble toujours aussi motivé à l’idée de perdre, me dit qu’il la voit bonne et me donne le point. Rien que pour faire chier le dadais, je le prends sans rechigner.

 

 

C’est alors que je lâche un « allez !!! » aussi sonore que ridicule…

 

Je me détache alors 4-1 mais l’élan reste de son côté. Je me tends à nouveau, stressé et déconcentré par le dadais qui s’enflamme littéralement sur un passing de revers – très beau il est vrai – de son pote. J’hésite à lui péter une réflexion mais je me retiens d’extrême limite. Je suis assez nouveau dans ce club, je dois la jouer super sympa, super cool. Après avoir raté deux volées enfantines qui permettent à mon adversaire de recoller à 4-3, toutefois, je n’en peux plus. J’ai mon premier gros geste d’énervement depuis mon come-back. Façon Benoît Paire, je catapulte une balle au plafond qui manque de percuter la barre d’éclairage. L’aurait plus manqué que ça, que je foute tout en l’air.

A 30-30 au jeu suivant c’est vraiment chaud et allez savoir pourquoi, comment, il se passe à ce moment-là un truc purement extraordinaire. Dans un échange qui se prolonge, je lâche trois revers à deux mains consécutifs. Bon, quand je dis je « lâche », n’allez pas imaginer que je lâche trois caramels façon Andy Murray cet automne, hein… Non, mais simplement, j’ose ces trois revers « non saucissonnés » qui retombent dans les limites du court et me protègent à peu près dans cet échange que je finis par gagner. Et c’est alors que, transporté par l’euphorie du moment, je fais un truc sûrement extrêmement ridicule aussi. Je crie un retentissant « allez » en brandissant un poing timide. Oui, je sais, de l’extérieur, j’ai sûrement l’air d’un gros débile mais bon, je suis tellement soulagé d’avoir gagné ce point sans doute crucial.

Il l’était, en effet. Derrière, mon ami lâche du lest. Encore une fois, il a cédé au moment le plus chaud. C’est incontestablement un tennisman de merde, lui aussi. Derrière, je me dirige sereinement vers une victoire 6/3, 6/3 pour laquelle j’aurais signé des deux mains. La poignée de mains est cordiale, le débriefing post-match aussi. Je peux enfin être « ouvertement » sympathique, mon stress a disparu. Dans s

on analyse d’après match, ma victime du jour me dit : « moi, je joue pour me faire plaisir avant tout. Si j’avais vraiment voulu gagner, je n’aurais pas choisi ce terrain rapide, j’aurais pris l’autre. » Je me dis que, décidément, le tennis est un inépuisable vivier d’exploration de la psyché humaine.

 

 

One thought on “Vous connaissez, cet adversaire trop « friendly » ?

  1. « Sait-il qu’à cet instant, j’ai la pression qui monte grave, je n’ai qu’une envie c’est de lui en mettre une bonne ! Enfin, j’ai surtout envie de lui mettre une Dunlop dans la gueule, histoire qu’il la ferme un peu (sa gueule). »

    Je peux mourir après avoir lu ça ! Mdrrr c’est excellent ce blog bravo !

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